Elle a été tour à tour laborantine, médecin, cofondatrice avec sa consœur Gentiane Bürgermeister d’Exit Suisse romande, consultante dans la prison genevoise de Champ-Dollon, la toubib chanteuse, leader de son quartette de jazz, puis La Mamie de l’électro, autrice de textes faisant la part belle à la liberté, cofondatrice avec son mari, en 2003, de la Fondation Bea pour jeunes artistes et, enfin, élue à 71 ans conseillère municipale verte de sa commune. Aujourd’hui, à 83 ans, son indépendance menacée par une pathologie récurrente et fidèle à ses convictions de toujours, elle se prépare à tirer sa révérence. Son dossier a été accepté par Exit. Reste à fixer la date.

Née dans une famille valaisanne plutôt rangée dominée par un père autoritaire aux idées bien arrêtées, Béatrice Deslarzes a appris tôt à défendre sa liberté. Même si elle a procédé au début par petites étapes. La carrière musicale qu’elle aurait peut-être pu entreprendre au sortir de l’adolescence a ainsi été remisée au placard en faveur d’une formation de laborantine, plus conforme aux aspirations paternelles. Mais, explique-t-elle, après quelques années elle n’a plus supporté une vie trop routinière, bornée par «le tennis et la télé le soir» et a décidé de s’inscrire en médecine à 32 ans. Encore l’ombre de son papa, lui-même commerçant mais pour lequel la médecine, que deux de ses fils ont étudiée, était le plus beau métier du monde.

Goût pour la marge

Malgré l’effort consenti pour ce retour tardif aux études, elle ne se laisse pas enfermer longtemps dans la spécialité qu’elle a choisie, l’otorhinolaryngologie. Elle fait des vacations au Service de santé de la jeunesse. Son patron lui propose une consultation ORL en projet à Champ-Dollon, elle accepte aussitôt. «J’ai adoré, commente-t-elle. En franchissant la grille d’entrée, les jours de consultation, je me sentais libre comme jamais.» Pourquoi? En tout cas, ça vient de loin: «Quand j’étais petite, nous allions avec des copains discuter par les ouvertures avec les prisonniers du pénitencier de Crêtelongue.» Goût pour la marge sans doute et pour ceux qui l’habitent, qui l’amènera aussi à soutenir, au début des années 2000, le célèbre squat genevois Rhino. Et certainement préférence pour les chemins mal balisés où on peut choisir ses détours.

Vers la cinquantaine, ainsi, elle renoue avec la musique, en parallèle au début avec son métier de médecin. Elle jouait du piano, cette fois elle chante, des textes qu’elle écrit elle-même, tourne avec trois puis quatre musiciens dans les caves et les bistrots romands – avant de s’enthousiasmer pour la musique électronique – la toubib chanteuse devient Bea La Mamie de l’électro avant un nouveau détour par la batterie, puis le slam. En professionnelle: se produire gratuitement en amateur, estime-t-elle, c’est faire de la concurrence déloyale.

En 2003, elle décide avec son mari d’investir une partie de son héritage dans une fondation qui offre des coups de pouce à des jeunes créateurs d’art contemporain, musical ou visuel: «Nous n’avons pas d’enfants, c’était une manière de rester en contact avec la jeunesse.»

Car l’âge avance, l’occasion de renouer avec un combat de toujours. Au début des années 1980, elle a fondé avec un groupe de courageux l’association romande Exit Association pour le droit de mourir dans la dignité, sur un modèle testé en Grande-Bretagne mais nouveau en Suisse. Les premiers combats se livrent pour ce qui est aujourd’hui un acquis: le testament biologique, qui représente alors un empiètement mal ressenti dans le pouvoir encore presque absolu des médecins sur la prise en charge de leurs patients.

Bataille gagnée

C’est elle qui en tant que médecin atypique mène le combat sur les plateaux de TV, défend la liberté et l’autonomie des seconds contre le paternalisme des premiers. Aujourd’hui, cette bataille est gagnée: la FMH propose elle-même des directives anticipées. Le suicide assisté est considéré comme un droit, y compris, en principe, dans les EMS. La Suisse est devenue une destination pour ceux qui, notamment en France, ne trouvent pas d’aide semblable sur place – un accueil auquel elle a participé jusqu’à récemment comme médecin-conseil de l’organisation Ex-international.

Mais, estime-t-elle, c’est encore trop peu. Entamée par révolte contre l’acharnement thérapeutique, sa lutte est devenue un combat toujours plus absolu pour la liberté. Aujourd’hui, elle défend l’IVV, l’interruption volontaire de vieillesse – «une maladie chronique, inguérissable et mortelle». Même sans pathologie, plaide-t-elle, on devrait avoir le droit de quitter la vie lorsqu’on en perd le goût, avant de se laisser glisser dans la léthargie d’une dépendance croissante. Cette perspective, dans son cas, semble encore bien lointaine. Mais elle vit sous la menace récurrente d’un œdème pulmonaire qui peut à tout moment la priver de souffle, nécessiter une intervention médicale lourde et incertaine.

Elle ne retournera pas à l’hôpital, c’est décidé. Mais prendre rendez-vous avec la mort n’est pas une mince affaire. Surtout sans doute quand on a tant aimé la vie.


Profil

1937 Naissance à Sion.

1968 Début de 14 années d’études de médecine et fondation d’Exit Suisse romande juste après.

1994 Fondation du quartette Bea la toubib chanteuse, avec un premier disque quatre ans plus tard, «Refuge». Deux autres suivront.

2000 Devient La Mamie de l’électro.

2007 Début de collaboration à Ex-international.

2014 Retour à Exit Suisse romande comme médecin prescripteur et accompagnatrice jusqu’en 2020.


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