«Aimez-nous!». Il en va des nouveaux beaux-pères comme des nouveaux pères. Ces éducateurs à demeure ne veulent plus être seulement tolérés ou respectés. Désormais très présents auprès d'enfants dont ils ont certes hérité mais qu’ils investissent au premier degré, ces beaux-pères nouvelle manière souhaitent établir avec eux des liens privilégiés. Non pas contre le père biologique. Ces liens de complicité vont de pair avec le père et se fondent sur une observation logique: puisqu'ils passent plus de temps avec ces enfants qu'avec leurs propres enfants quand ils en ont, les beaux-pères revendiquent désormais une place entière dans la famille recomposée. Et les progénitures concernées plébiscitent souvent cette proximité.

Ce constat constitue la grande nouveauté de «Beau-père, quelle aventure!», un ouvrage  qui vient de paraître et que la psychothérapeute Michèle Gaubert a justement écrit  parce que, depuis une dizaine d'années, elle reçoit de plus en plus «de beaux-pères désireux de bien faire». Avant, les «amants de maman» ne se sentaient pas particulièrement investis d’une mission. A présent, ils se rêvent en super-héros du foyer et, confrontés parfois à un accueil récalcitrant des enfants ou à des divergences d’éducation avec leur compagne, ils sont désemparés. «Ils sont plus fragiles qu’avant, parce que bien plus concernés», résume en substance la thérapeute française dans son ouvrage fourmillant d'exemples éloquents. Et en Suisse romande?  On retrouve un attachement identique aux enfants qui, parfois, dépasse même l’importance donnée au conjoint! Rencontres.

Le «copain de ma mère»

 «Ce qui m’a fait mal? Quand mon plus grand beau-fils m’a présenté à ses copains en disant: «C’est le copain de ma mère» et non: «C’est mon beau-père». J’ai réalisé que je n’étais rien pour lui, ou en tout cas pas la personne de confiance et de dialogue que j’aimerais être…». Karl a 44 ans. Graphiste lausannois, il vit depuis deux ans avec Lydie, quadragénaire réjouie, et ses deux garçons de 18 et 20 ans. Autant dire des adultes qui ont vu arriver le nouvel amoureux de maman sans grand frémissement. A cet âge, il n’y a plus quasiment plus d’enjeu éducatif et chacun déroule sa vie comme il l’entend. «Ma compagne pratique un tel lâcher prise à la maison, un tel bricolage à la fois heureux et hasardeux, que moi qui suis très organisé et très prévoyant, j’ai dû faire de gros efforts pour m’adapter.»  Mais Karl, qui a beaucoup d’ardeur, s’y est attelé. Et rien ne lui fait plus plaisir que «les dimanches en famille». «J’aime préparer de bons petits plats et voir les garçons savourer. Le soleil entre dans le salon, ça sent bon, tout le monde se parle et rigole, ma bien-aimée est ravie et moi je jubile intérieurement. Comme si, avec ma cuisine, j’avais créé ce ciment.»

On le voit, Karl est loin du beau-père d’antan. Cet intrus autoritaire qui arrivait comme un sauveur après un décès ou une séparation forcément honteuse et imposait sa loi à la maison. Tout, dans le récit du graphiste, signale la délicatesse et l’envie de prendre sa place en finesse. Est-ce qu’il parle parfois seul à seul avec ces ados-adultes? «Oui, avec l’aîné justement. Le cadet est plus réservé. Avec le petit, on tchatche, mais on n’échange pas profondément. Alors qu’avec le grand, on évoque des sujets importants comme l’orientation professionnelle, l’amitié, l’engagement.» Mais même ainsi, Karl reste «le copain de la mère» et ça le trouble. Quand on lui rétorque que deux ans, c’est un peu court pour être le pilier désiré auprès de si grands enfants, d’autant que le père est lui aussi très aimant, Karl est étonné: «Moi je n’ai pas compté, j’ai donné tout tout de suite. Pourquoi eux sont-ils plus réticents?»

Patience, patience

Ces nouveaux beaux-pères oublient peut-être un des fondamentaux de la famille recomposée: la patience. Dans son ouvrage, Michèle Gaubert souligne à quel point le beau-père est d’abord indésirable auprès des enfants pour toutes sortes de (bonnes) raisons: loyauté au père, attachement exclusif à la mère, fragilité liée à la séparation,  turbulences dues à leur propre évolution… «Une histoire d’attachement se construit à deux. L’enfant doit être aussi un adoptant. A cause d’une réticence inconsciente ou affirmée, il le fait à son rythme. Il faut savoir l’attendre», tempère la thérapeute.

 Du côté de Denis, Genevois de 50 ans qui n’a jamais eu d’enfant, c’est plutôt les progrès de la maman qu’il attend impatiemment. «En théorie, Nathalie est tout à fait d’accord avec mes principes éducatifs, mais dès qu’on est confronté à la réalité, elle me désavoue devant les petits. J’en ai plus qu’assez!» Un exemple? «Le coup de la choucroute. D’ordinaire, Simon, âgé de 8 ans, la mange volontiers. Puis, subitement, il n’en veut plus sans raison. Logiquement, je le prive de dessert. C’est là que ma compagne intervient, dit qu’il ne faut pas le forcer et l’autorise à engouffrer une crème vanille. Ça me rend fou!» Le plus étonnant, selon Denis, c’est que ces résistances ne se manifestent jamais en l’absence de Nathalie. «Quand je suis seul avec les deux enfants, on rigole bien, on a beaucoup de complicité et je n’ai jamais de souci d’autorité. Dès que ma compagne est là, c’est le chaos.» Après deux ans de ce régime, Denis est tellement exaspéré qu’il envisage la séparation. Et se réserver pour sa seule amoureuse, en abandonnant le terrain de la famille? «Impossible. J’ai pris le pack en entier, si j’abandonne, j’abandonne le pack en entier», sanctionne cet interlocuteur énergique qui, précisons-le, s’entend très bien avec le père biologique et a gardé de bons liens avec une jeune femme dont il a assuré une partie de l'éducation lors d'une ancienne relation. Quand on disait que, sur le plan affectif,  les nouveaux beaux-pères faisaient monter les enchères…

Le français ne différencie pas le stepfather du father in law

Paul, 45 ans, n’a rien besoin de monnayer. Père d’une petite fille de 9 ans établie à Genève, ce journaliste lausannois vit le grand amour avec Noémie depuis huit ans et une parfaite entente avec la fille de celle-ci,  Cécile, âgée de 10 ans. «Il faut dire que je l’ai vu naître, car je connaissais Noémie avant que notre relation ne devienne amoureuse.» Avoir suivi Cécile bébé favorise évidemment le lien et là, plus que dans toutes les autres histoires, Paul agit comme un père auprès de cette enfant qu’il voit plus que sa propre fille. «On n’est jamais plus heureux que lorsqu’on peut réunir les deux fillettes, durant les week-ends et les vacances. Sinon, je dois en effet composer avec ce tiraillement. Il m'arrive d'être triste quand je sens que ma fille a besoin de moi et que je ne suis pas près d'elle», soupire Paul. Avant de préciser qu’il respecte le père de Cécile, qu’il le valorise et que, les rares fois où la petite a voulu l’appeler «papa», Paul a «tout de suite remis les choses à leur place». N’empêche, l’amour est présent à tous les étages quand ce journaliste évoque sa famille recomposée et, en cela, il s’inscrit parfaitement dans cette ère des nouveaux beaux-pères.

 Des  beaux-pères qui, soit-dit en passant, n’ont toujours pas d’appellation réservée en français. Ils s’appellent toujours comme le papa de la mariée, alors qu’en anglais le stepfather ne saurait être confondu avec le father in law…

Le droit, l'argent

 A propos de loi, quels sont les droits des beaux-parents? «En Suisse, comme en France, les beaux-parents n'ont toujours aucun statut officiel», répond Anne Reiser, avocate genevoise spécialisée dans le droit du divorce. «Ce qui est aussi le cas des enfants dont on ne reconnaît pas le statut de beaux-enfants et qui, du coup, ne sont pas consultés lors des séparations. Dans ma pratique, j'ai vu beaucoup d'enfants orphelins de leurs beaux-parents suite à une rupture.» Pour mieux négocier l'«après», Anne Reiser a une solution qui marche: la négociation. «A Ichoba, le centre de régulation des conflits familiaux que j'ai créé à Genève il y a quatre ans, nous établissons des conciliations de séparation une fois que nous avons purgé l'ex-couple de ses tensions. Les enfants en sortent gagnants, c'est un vrai soulagement.»

Mais la notion de contrat peut intervenir avant la séparation. Tout d'abord, en Suisse comme en France, il existe le principe de «délégation de l'autorité» où les parents biologiques reconnaissent aux beaux-parents le droit de s'occuper des enfants en dehors du domicile familial. Et, sur le plan matériel, la psychothérapeute Michèle Goubert conseille aux beaux-pères de parler argent avant leur établissement. «Les problèmes matériels sont plus tordus qu'ils ne le pensent et auront vite fait de les rattraper, constate la thérapeute. Foi de psy, un cas de mésentente sur deux naît de ces problèmes trop vite écartés. Les couples ont intérêt à prendre rendez-vous chez un bon notaire, et, comme leurs homologues américains, à débattre de tout avant de se recomposer.»

Les beaux-pères nouvelle manière aiment sans compter? Les psys et les avocats sont là pour leur rappeler la réalité.

Beau-père, quelle aventure!, Michèle Gaubert, éditions PayotPsy, 247 p., Paris, 2015

Les prénoms dans cet article ont été changés.