Solidarité
Aider son prochain, la formule ne vaut pas qu’à Noël. Qu’ils soient retraités, requérant d’asile, étudiant, père ou mère de famille, des Romands s’engagent bénévolement tout au long de l’année. Portraits

Reza: «Je veux rendre à la Suisse qu’elle m’a donné»
A 42 ans, ce requérant d’asile d’origine iranienne établi à Lausanne avec sa famille distribue des colis alimentaires aux plus démunis
Rien ne prédestinait Reza à distribuer des colis alimentaires par une froide journée d’hiver dans les quartiers cossus de Chailly. A 42 ans, ce requérant d’asile iranien a quitté son pays pour des raisons politiques avant d’entamer, avec sa femme, un vaste périple à travers l’Europe. Au bénéfice d’un permis provisoire, ce père de famille entend rendre à la Suisse ce qu’elle lui a donné en offrant son temps et son énergie.
De sa vie d’avant, Reza ne dira que peu de mots. En 2015, il n’a pas eu le choix, il a fallu partir, tout quitter, laisser derrière lui famille et amis. Après un bref séjour en Grèce, il débarque d’abord à Genève, où il passe quelques jours à l’hôtel avant d’être redirigé vers le centre fédéral de Vallorbe, où il dépose une demande d’asile. Dans le foyer de Bex où Reza passe plusieurs mois avec son épouse, il demande tout de suite à travailler. «Les journées étaient longues, je ne supportais pas de tourner en rond, j’avais besoin d’être actif, raconte le jeune homme, au bénéfice de plusieurs formations. Quand mon assistant social m’a proposé de travailler dans le domaine informatique, j’ai accepté.» Durant un an et demi, il travaille 80 heures par mois pour un salaire symbolique de 300 francs. Peu importe. «Je n’ai pas fait ça pour l’argent, j’avais besoin de me sentir utile.»
«J’ai réalisé combien j’étais chanceux»
Par la suite, Reza travaille bénévolement comme auxiliaire éducatif et social dans des foyers pour requérants d’asile mineurs non accompagnés. «C’était dur de voir ces jeunes déracinés, sans ressources, révoltés contre leur situation, confie-t-il. J’ai réalisé combien j’étais chanceux.» Entre-temps, le couple déménage dans un appartement fourni par l’EVAM à Lausanne et accueille l’arrivée de son premier enfant.
C’est à la Maison de quartier de Chailly que Reza poursuit désormais son engagement. Depuis cet été, il distribue des produits de première nécessité aux personnes dans le besoin, qui ont souvent perdu leur travail à cause de la crise du covid. «Je n’aurais jamais imaginé que des personnes manquaient d’argent pour se nourrir en Suisse. J’avais en tête des images de banques, de pistes de ski.» Alors qu’il ne sait toujours pas de quoi son avenir sera fait, il s’engage sans compter: «J’ai envie d’aider les autres, par ce geste, je veux rendre à ce pays tout ce qu’il m’a donné.» Cet esprit de solidarité, Reza l’a hérité de son père. «Il a toujours été mon modèle dans la vie, il m’a appris à aider les autres, à respecter les règles, à mériter ce que je reçois.» Sylvia Revello
Profil
1978 Naissance à Téhéran.
2015 Arrivée en Suisse.
2015 Première activité bénévole.
2016 Naissance de son fils.
2020 Bénévole pour la Maison de quartier de Chailly.
Joseph: «Je connais toute sa vie, dans tous les détails»
Depuis 2007, le postier retraité rencontre une fois par semaine Roger, ex-tailleur de 92 ans, pour qui il est le seul repère affectif. La Croix-Rouge genevoise manque de bénévoles dans ce registre
«Je connais toute sa vie, dans tous les détails. Récemment, il a un peu baissé, il est plus perdu, désorienté. Et, avec les mesures sanitaires de l’EMS, qui exigent un éloignement de 2 mètres, communiquer est devenu difficile. Mais, oui, c’est vrai, je suis très attaché. Comme je n’ai pas connu mes grands-parents, il apporte cette vision, ces récits du passé.»
Depuis treize ans, Joseph Mettraux voit chaque semaine celui que nous appellerons Roger, 92 ans, ex-tailleur sur mesure, qui a longtemps été «coquet, soucieux des tendances et à l’affût de mes fautes de goût vestimentaires», sourit le bénévole de la Croix-Rouge genevoise. Lui-même, 75 ans, est un ex-cadre de La Poste qui a débuté en tant que simple facteur et gravi les échelons de la régie fédérale. Arrivé à la retraite, il a eu besoin «de me sentir utile et d’aider».
Un moment qui compte
Jusqu’en 2015, Joseph se rendait au domicile de Roger pour «converser, lire les journaux, commenter l’actualité ou se balader». Les critères qui permettent de bénéficier de ce service? «Etre chez soi, diminué et très isolé.» A l’antenne genevoise, 120 personnes visitent chaque semaine un aîné et lui apportent aussi bien un soutien moral qu’une stimulation cognitive.
Lire aussi: Jacqueline Cramer, les quatre saisons de la vieillesse
«On manque de volontaires! C’est dommage parce que c’est une activité très enrichissante», poursuit Joseph. «Je nous revois, lui dans son fauteuil et moi le poussant, à l’aéroport, dans les magasins ou dans les rues animées. C’était chaque fois un moment qui comptait», se remémore le bénévole, qui continue ses visites même si Roger est désormais en EMS.
Combattre l’ennui?
Est-ce que cet engagement vise à combattre l’ennui? «Non, je suis en couple, père de deux filles quadragénaires et grand-père d’un petit-fils de 12 ans. J’aime la lecture, la course à pied et la montagne, je ne m’ennuie pas. Mais je trouve important de contribuer au bien-être collectif. D’ailleurs, je participe aussi à l’action des paniers de Noël de la Croix-Rouge, dans le secteur de la distribution.» De quoi se souvenir, sans doute, de son passé de facteur… A propos, a-t-il dû se former? «Oui, j’ai suivi deux ateliers de premiers secours et plusieurs stages sur le bon comportement à adopter face à une personne âgée, ou sur l’alzheimer, les maladies, etc.»
Ces jours, Roger décline beaucoup. A la question de sa disparition, Joseph s’émeut. «C’est sûr que ça va faire un grand vide. Ce sera comme perdre un proche.» A entendre sa voix qui tremble, on n’en doute pas. Marie-Pierre Genecand
Profil
1945 Naissance à Fribourg.
2005 Retraité de La Poste.
2005 Devient visiteur de personnes âgées.
2007 Rencontre Roger dans le cadre de la Croix-Rouge genevoise.
2015 Roger entre en EMS, mais Joseph poursuit ses visites.
Camille: «Les besoins restent immenses»
Personne non binaire, Camille s’engage pour la santé sexuelle des femmes qui aiment les femmes à travers son association les Klamydia’s
Plus qu’une révélation, une évidence. C’est ainsi que Camille, personne non binaire originaire de la Loire, décrit sa première expérience de bénévole. A l’époque, elle a 17 ans et s’engage pour l’association ATD Quart Monde auprès de personnes en grande précarité. Elle-même issue d’un milieu défavorisé, passionnée de littérature, Camille anime des bibliothèques de rue pour les enfants dans des quartiers où aucune activité n’est proposée. Durant ses études en aménagement du territoire et en philosophie, elle poursuit son engagement auprès des Restos du cœur.
Jusqu’à ce qu’un constat la rattrape. «En tant que lesbienne, j’ai pensé que je serais plus utile comme bénévole auprès de la communauté LGBTIQ +, explique-t-elle. Distribuer des repas, tout le monde peut le faire, mais pour parler de santé sexuelle et d’intimité auprès de personnes LGBTIQ +, il m’a semblé plus pertinent d’être soi-même concerné.» Ainsi commencent sa formation et son engagement auprès d’une association qui effectue un travail de prévention auprès des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes.
«C’est un échange et un partage»
En 2008, Camille cofonde avec une copine l’association pour la santé sexuelle des femmes qui aiment les femmes (FSF) baptisée les Klamydia’s. «A travers ma propre expérience, j’avais constaté le manque d’informations en matière de santé sexuelle pour les FSF qui ont pourtant des besoins spécifiques», souligne-t-elle. Depuis douze ans, l’association romande basée à Lausanne, ville où Camille a élu domicile, développe des outils de prévention et organise des ateliers sur le plaisir féminin, la santé sexuelle ou encore la violence dans le couple. «Aujourd’hui, ces sujets sont moins tabous, mais les besoins restent immenses», note Camille, qui a publié cette année avec trois autres organisations les résultats d’une enquête sur la santé des FSF.
A côté de son activité rémunérée, le bénévolat remplit une fonction cardinale dans sa vie. Travailler gratuitement n’est toutefois pas dénué d’intérêt: «On croit souvent que les bénévoles ne font que donner, mais c’est un échange et un partage. Cet engagement nous apporte aussi quelque chose, il nous nourrit.» Et si demain ce bénévolat était rémunéré? «Pas sûr que je continuerais exactement sous cette forme, confie Camille. J’aime le fait que cette activité ne soit pas contrainte et que l’on soit très libre dans le choix de nos projets, qui se basent essentiellement sur les besoins que nous constatons sur le terrain.» Sylvia Revello
Profil
1982 Naissance à Saint-Chamond.
1999 Engagement bénévole à ATD Quart Monde.
2002 Engagement dans la communauté LGBTIQ +.
2008 Création de l’association les Klamydia’s.
Roxana: «Aider les autres, c’est une thérapie»
A 34 ans, la jeune femme d’origine roumaine et domiciliée à Pully vient en aide aux femmes prostituées en leur fournissant des produits de première nécessité
Une manucure peut parfois déboucher sur des conversations d’une rare profondeur. C’est en 2015, dans son appartement vaudois, entre deux cotons imbibés de dissolvant, que Roxana entend parler pour la première fois de la Maraude de Lausanne. «Je proposais à mes amies de leur faire les ongles à la maison, raconte la jeune femme. Un jour, l’une d’elles m’a parlé de son action auprès des sans-abri et m’a proposé de l’accompagner. A l’époque, je venais de débarquer de ma Roumanie natale, je ne parlais pas français. Sa motivation a déteint sur moi, j’y ai vu une manière de m’intégrer.»
Sa volonté de contribuer au bien-être de la société ne date toutefois pas de ce jour-là. Née dans un orphelinat de Bucarest, Roxana doit son «indéfectible optimisme» à ce que d’autres lui ont donné. «Ma mère a accouché sous X, et bien sûr l’amour parental m’a fait défaut. Parallèlement, j’ai toujours été consciente de l’importance de redonner à d’autres la générosité dont j’ai pu bénéficier.» Petite, elle dit à qui veut l’entendre que si elle gagne au loto, elle donnera tout aux pauvres. «Pourtant, Dieu sait que je ne suis pas riche, mais c’est naturel pour moi, c’est dans l’ordre des choses.» Jeune adulte, elle travaille d’abord en Roumanie auprès de personnes âgées. Quand le home fait faillite et la licencie, elle continue d’aider les anciens pensionnaires comme elle le peut, bénévolement, mais la situation est intenable.
«Je sais ce dont elles ont besoin»
Un jour, Roxana se laisse convaincre par des amis que la Suisse pourrait lui offrir un meilleur avenir. Elle laisse tout derrière elle et arrive en terre helvète à 24 ans. Sans emploi, elle rejoint les rangs des travailleuses du sexe de la rue de Genève, à Lausanne, et connaît la précarité des jeunes femmes qui, hiver comme été, arpentent le pavé. «Je réalise aujourd’hui à quel point j’ai eu de la chance de rencontrer mon mari. On a un toit, une famille dont je m’occupe. Ma vie a changé.»
Après les premières maraudes, Roxana s’implique à la Soupe populaire et auprès de l’Armoire à couvertures, une association lausannoise qui fournit couvertures et sacs de couchage aux SDF de la région. «Puis j’ai décidé de revenir apporter de l’aide aux filles de la rue de Genève, parce que je sais ce dont elles ont besoin. Récemment, je leur ai préparé des petits paquets contenant des chaufferettes, du dentifrice, du savon, des produits d’hygiène intime. Quand je peux, je leur amène des vestes, des bonnets, des écharpes tricotées. A chaque fois qu’elles me voient arriver, elles sont tellement reconnaissantes, ça me donne la chair de poule rien que d’y penser. Pour moi, aider les autres, c’est une thérapie.» Célia Héron
Profil
1986 Naissance à Constanta (Roumanie).
2010 Arrivée en Suisse.
2014 Rencontre son mari et quitte le milieu de la prostitution.
2015 Participe à sa première maraude et vient en aide à ses anciennes collègues prostituées.
Margaux et Victor: «On apporte de la chaleur et de la bienveillance»
Les deux résidents fribourgeois font partie de la fondation Relais enfants parents romands, qui soutient les familles de personnes incarcérées
Ils tenaient à témoigner ensemble puisque c’est en duo soudé qu’ils réalisent leur mission de bénévolat chaque week-end à Fribourg. Margaux, 29 ans, et Victor, 20 ans, viennent d’accompagner plusieurs familles à la prison centrale de Fribourg et profitent d’une courte pause, le temps des parloirs, ce dimanche. Le binôme fait partie de la fondation REPR (Relais enfants parents romands). Active dans toute la Suisse romande, la fondation soutient les familles, les proches et les enfants de personnes détenues à travers trois piliers: l’information aux familles, la sensibilisation et la formation, avec un focus sur les enfants.
Lire aussi: Viviane Schekter, la marraine qui veille sur les enfants des détenus
Rassurer et apporter un soutien moral aux familles et aux proches des personnes incarcérées lors des visites. C’est au moins l’une des raisons qui ont motivé Victor à embrasser cette cause. Rien de vraiment surprenant pour ce jeune étudiant en bachelor de droit à l’Université de Fribourg, qui se destine à l’avocature. Si cette première expérience de bénévolat semble le ravir, elle a parfois suscité l’interrogation autour de lui. «Au départ, les gens s’imaginent que nous sommes en contact direct avec les détenus. Mais, en réalité, le but de la démarche est d’épauler les familles, de leur apporter un soutien informationnel et émotionnel», raconte Victor.
«On se sent très utiles»
De son côté, Margaux le reconnaît, l’univers carcéral l’a toujours intriguée. «J’ai été très touchée par l’angle d’approche de la fondation, souligne-t-elle. On oublie souvent l’entourage des personnes incarcérées qui a, lui aussi, besoin d’aide.» Il faut dire que l’univers du bénévolat, la Vaudoise d’origine l’a côtoyé tôt. Dans le sport d’abord, en tant que monitrice de gymnastique aux agrès à la Société de gymnastique de Saint-Prex. Puis au Pérou, dans une association œuvrant pour la santé mentale, et deux mois en Bolivie dans un foyer pour garçons.
Arpenter les couloirs d’une prison pour y retrouver un de ses proches ne se révèle ni gai, ni aisé. A travers leur action, Margaux et Victor espèrent ainsi apporter un accompagnement et une énergie à ces familles. «Il n’y a pas un moment où on se demande ce que l’on fait ici, on se sent très utiles, car on peut apporter de la bienveillance et un peu de chaleur à toutes ces personnes. C’est une manière de leur dire qu’ils sont importants et que l’on se sent concernés par leur situation», expliquent les deux bénévoles. Marie-Amaëlle Touré
Profil
1991 Naissance de Margaux à Morges.
2000 Naissance de Victor à Paris.
2016 - 2017 Voyage au Pérou et en Bolivie pour Margaux.
2019 Margaux devient bénévole chez REPR.
2020 Victor rejoint à son tour la fondation.
Muriel: «Je donne ce que j’aurais aimé recevoir»
Répondante bénévole pour une association de prévention du suicide, Muriel se présente comme «une présence disponible» pour les personnes qui en ont besoin
Elle cumule les casquettes et a un emploi du temps bien rempli. Muriel, 44 ans, travaille comme assistante administrative pour la Migros deux jours par semaine. Le reste de son temps, cette habitante de Martigny le consacre aux personnes en fin de vie ou confrontées au suicide. «J’ai perdu ma maman il y a douze ans, raconte-t-elle. J’étais désespérée et je me suis inscrite à un groupe de parole organisé par l’association valaisanne Pars Pas. Je souffrais, que ce soit seule ou entourée, mais je me suis aperçue que nous pouvions nous soutenir, nous écouter.» Le téléphone sonne. «C’est celui de la permanence», s’excuse-t-elle. Après huit ans, l’Octodurienne a commencé à aller mieux et a ressenti le besoin d’aider les suivants. Muriel Voutaz s’est alors portée bénévole pour répondre aux permanences téléphonique et écrite de l’association, destinées aux personnes souffrant de tendances suicidaires ou aux familles et aux proches qui y sont confrontés.
En couple et mère de deux filles, Muriel confie que tout son entourage est prévenu de son activité et qu’à tout moment elle peut quitter la pièce. «Mon rôle est simplement d’écouter et d’orienter la personne, si besoin, vers un professionnel adéquat, décrit-elle. Je donne ce que j’aurais aimé recevoir.» Pour parfaire son soutien, la bénévole achèvera ce mois de mars une formation sur le deuil et l’accompagnement des personnes endeuillées délivrée par l’association Vivre son deuil, qu’elle a suivie à Yverdon. Une formation qui, pense-t-elle, lui a permis d’obtenir en octobre 2019 le poste de coordinatrice des bénévoles qui rendent visite aux patients hospitalisés dans les unités de soins palliatifs ou de gériatrie de l’hôpital de Martigny.
Dans le cadre de son activité, Muriel gère les plannings, les formations, les réunions, les demandes de visites à domicile. «Nous sommes une vingtaine de bénévoles à La Passerelle de l’Association martigneraine d’invitation à l’entraide. Chaque jour, deux d’entre nous se rendent à l’hôpital pour visiter les patients choisis par le corps médical. Avec eux, on discute, on prend l’air ou on boit un café. Parfois, on est inutile, mais on est là, disponibles.» Côtoyer la mort au quotidien a permis à Muriel Voutaz de l’appréhender différemment et d’être davantage ancrée dans le présent. Si bien qu’elle va se lancer dans une nouvelle activité professionnelle et devenir assistante funéraire pour accompagner les familles endeuillées. Chams Iaz
Profil
1976 Naissance à Martigny.
2008 Décès de sa mère et participation aux groupes de parole de Pars Pas.
2017 Commence sa formation sur le deuil à Yverdon.
2018 Répondante à la ligne d’écoute de Pars Pas.
2019 Coordinatrice des bénévoles de la Passerelle de l’Amie à Martigny.