Bertrand Cantat: «Je ne reconnaissais plus Marie. Elle était très méchante et ses mots étaient insultants»
JUSTICE
Bertrand Cantat a témoigné trois heures durant au premier jour de son procès à Vilnius. Poursuivi pour le meurtre de l'actrice Marie Trintignant, il a dit, en pleurs, son désespoir à la famille de la victime. Il évoque un «état émotionnel extrême»
«Je m'appelle Cantat Bertrand. Je suis né le 5 mars 1964 à Pau, en France.» «Quelle est votre profession?» lui demande le président. «Musicien, chanteur, auteur, compositeur», lui répond d'une voix posée le leader de Noir Désir. Il est debout, visage triste. Vêtu d'une chemise grise et d'un gilet noir. De l'autre côté de la «cage de verre», sa famille et ses proches ne le quittent pas des yeux. A droite de l'allée centrale, l'autre «clan», la famille de la victime Marie Trintignant, semble ignorer l'accusé. Les traits tirés derrière ses lunettes foncées, la mère, Nadine Trintignant, paraît ailleurs. Elle est entourée de son fils Vincent et de son conseil, Me Kiejman. Plus loin, il y a Richard Kolinka, l'ex-batteur du groupe Téléphone, le premier mari de Marie, et son fils Roman. Samuel Benchetrit est derrière. Jean-Louis Trintignant n'est pas là.
La salle est bondée. Et l'atmosphère est lourde dans le petit tribunal de Vilnius qui abritait autrefois les bureaux du KGB. La traductrice a le nez sur son Petit Robert. Elle a pour mission d'assurer, tant bien que mal, le passage du lituanien vers le français et inversement. Deux haut-parleurs de fortune ont été installés de part et d'autre des trois juges professionnels. Le procureur lit l'acte d'accusation, avant de réclamer le huis clos. Nadine Trintignant est contre, Bertrand Cantat préfère s'en remettre «à la décision du tribunal». Les avocats ne réclament rien. Le temps d'une suspension de séance et les juges déclarent l'audience «publique».
«Vous reconnaissez-vous entièrement ou en partie dans cet acte d'accusation?» demande le président au chanteur poursuivi pour meurtre. «J'ai donné quatre gifles, oui, répond Cantat la voix tremblotante, mais je ne reconnais absolument pas l'aspect intentionnel.» L'interrogatoire du chanteur va durer trois heures. Trois heures passées à la barre, en duo avec sa traductrice personnelle. Trois heures durant lesquelles il va s'expliquer tantôt avec émotion, tantôt de façon saccadée, quasi mécanique. Cantat évoquera les débuts d'«un amour grandissant extraordinaire». La rencontre coup de foudre avec Marie le 3 juillet 2002, lors d'un concert de Noir Désir à Vaison-la-Romaine. Un amour qui «s'est imposé de manière incroyable», dira le chanteur de «Aux sombres héros de l'amer»: «Il ne se passait pas deux heures sans qu'on soit en contact par SMS ou par téléphone.» Cantat parlera de Marie comme de «quelqu'un de fantastique. Avec une grande complexité de caractère. Quelqu'un qui cherchait l'absolu absolument. Quelqu'un de très extrême, qui a eu une vie très pleine.» Il racontera, avec moult détails, leur arrivée à Vilnius en mai dernier; le tournage de Colette qui fut «éprouvant»; son coup de téléphone à son ex-femme Kristina le 20 juillet qui avait rendu Marie jalouse. Jusqu'au soir du 26 juillet. Le soir du drame. Où, rappelle Bertrand, il a rejoint Marie sur le tournage après avoir consulté un médecin pour un problème «d'écrasement du disque lombaire». Puis survient le SMS de Samuel, l'ex-mari, signé «Merci ma petite Janis» avec lequel Cantat se dit «mal à l'aise». Puis le pot d'adieu à Lambert Wilson. «Etiez-vous ivre?» demande le président. «J'étais loin d'être saoul. Une légère ivresse tout au plus. Je devais faire attention car je prenais des anti-inflammatoires et des corticoïdes.» Suit le retour à l'Hôtel Dominga Plaza. Le malaise. La jalousie.
La dispute qui éclate. «Je ne reconnaissais plus Marie. Elle était très méchante. Ses mots étaient extrêmement insultants. Pour moi, pour les enfants, pour Kristina, pour ma vie avant elle.» Cantat poursuit, mimant physiquement la scène: «Elle s'est jetée sur moi, m'a agrippé.» Suivent quatre gifles, «deux allers-retour». «Tout s'est passé très vite. J'avais malheureusement des bagues.» Cantat refuse de mettre ça sur le compte de l'alcool: «Huit mois après le drame, je ne parviens toujours pas à comprendre cet état émotionnel extrême». L'interrogatoire touche à sa fin. Cantat se tourne vers la famille Trintignant. Et craque. En larmes. «Je veux leur dire tout mon désespoir. Je sais leur souffrance. Je sais qu'ils sont dans la haine. Je comprends. Il y a ma responsabilité. Je vous aime. J'aimais Marie.»
Nadine Trintignant est alors appelée à la barre. Pour parler d'un homme qu'elle croyait «doux». Pour rappeler leur première rencontre lors d'un dîner familial chez elle, une «preuve de confiance», dira-t-elle. «Aujourd'hui, murmure la cinéaste, c'est comme si l'un de nous avait participé à cette horreur.» Nadine attaque: «Il était jaloux de son passé. C'était une obsession.» Se fait accusatrice, comme dans son livre Ma fille, Marie: «J'ai entendu Cantat la traiter d'hystérique. Je n'étais pas là. Mais ça me paraît impossible.» Démonte les «mensonges»: «Marie ne se mettait jamais en colère. Elle ne fumait pas de cannabis. Elle était la joie de vivre.» Son ton est dur, partisan. Derrière la vitre, Cantat s'agite, se mord les lèvres. Puis vient le tour de Vincent, le frère de la victime. Du haut de ses 20 ans, le premier assistant sur le film Colette raconte comment, ce soir-là, un peu «abruti» par l'alcool et la fatigue, il a rejoint «vers 5 h 30» l'Hôtel Dominga Plaza, après avoir reçu un coup de fil de Bertrand: «Quand je suis arrivé, il était très calme. Parfaitement maître de la situation. Absolument pas affolé», déclare-t-il en lançant un regard sombre vers Cantat qui ne tient plus sur sa chaise. Son avocat, Me Papertis, contre-attaque: «Vous avez passé deux heures ensemble et vous n'avez entrepris aucun secours?» Vincent répond, hésitant: «Je l'ai vue respirer normalement. A aucun moment il ne m'a dit: «J'ai roué de coups ta sœur.» La salle respire. La première journée de ce procès «hors norme» s'achève sur une forte tension. La suite, ce mercredi, avec notamment l'audition du metteur en scène Samuel Benchetrit.