Quelle bestiole êtes-vous sur les réseaux sociaux?
Internet
Il y a les trolls, les «lurkers» ou les Calimeros. Au fil du temps, les subtilités du comportement humain s’affinent sur la Toile. Deux spécialistes donnent leurs définitions. Qui se reconnaîtra dans ce bestiaire? Tout le monde

«Gare au gorille», chantait Georges Brassens en 1952. S’il avait été en vie à l’heure des réseaux sociaux, aurait-il chanté «Gare au troll»? Possible. Toujours est-il que plus nos vies virtuelles avancent, plus le bestiaire s’agrandit. Prenez la plus célèbre des bestioles qui peuple Internet: le troll. «On peut en répertorier une centaine de catégories différentes» explique Olivier Glassey, sociologue au Laboratoire de cultures et humanités digitales de l’Université de Lausanne.
Plusieurs moyens pour parvenir à ses fins
Le but du troll étant de «faire dérailler le processus de communication», il aura, selon le profil psychologique de l’internaute – souvent anonyme – qui se cache derrière lui, plusieurs moyens de parvenir à ses fins. «Le flooder [du verbe inonder en anglais] va saturer l’espace des échanges afin de rendre impossible la continuité d’une conversation, faire du remplissage avec des commentaires répétés.» De son côté, le hater (haineux) utilisera le racisme ou encore le sexisme pour attaquer tous azimuts. Il puise dans un «vaste registre d’agressions gratuites visant à stigmatiser sa cible.»
Citons encore l’espèce de troll baptisée Never-Give-Up («ne laisse jamais tomber»), qui veut toujours avoir le dernier mot, ou le flamer, pour qui bouter le feu à un fil de discussion et susciter la colère engendre une réelle satisfaction. Il y a également l’expert qui, peu importe le domaine, «adore partager ses connaissances, souvent avec une certaine une forme de condescendance voire d’arrogance».
Déstabiliser sans jamais être touché
La force du troll est de déstabiliser sans jamais être touché. «Pour certains, c’est un art, une pratique ludique qui peut aussi devenir une forme de violence. Il existe des mouvements de trolling de masse, qui font des virées en bandes.»
Il arrive aussi que certains monstres avancent masqués. Blaise Reymondin, spécialiste du numérique et blogueur pour Le Temps, observe une forme de maturité sur le Net. «Il y a 10 ou 15 ans, ils n’avaient pas de masque. Maintenant, les gens ont conscience de l’image qu’ils donnent.» C’est pourquoi, selon lui, l’«égotripé» est souvent déguisé en «humble-man», «une personnalité égocentrique qui parle régulièrement d’humilité pour contrebalancer».
La narcissique Drama Queen
Pour le côté sans filtre, il y a la Drama Queen, personne ayant un besoin insatiable d’attention. Narcissique et ultra-spontanée dans ce qu’elle poste, elle ne réfléchit pas aux conséquences, étant persuadée que ce qu’elle fait est forcément intéressant. Elle pollue les échanges avec ses demandes de reconnaissance. Le Calimero, lui, se plaindra de tout, et le Cry-Baby se sentira systématiquement offensé. Blaise Reymondin mentionne également le Droopy – de l’épisode de Tex Avery «Droopy’s double trouble», dans lequel il est avec son jumeau – qui commente chacun de nos posts. «Il apparaît toujours partout! On a tous notre Droopy.» Plus virulent, le stalker (traqueur) va prendre en grippe une célébrité et la harceler.
Heureusement, le Chevalier blanc est là pour adoucir, calmer le jeu. Un vrai pacificateur, mais qui parfois se transforme en troll à force d’intervenir et de vouloir tout régler.
Ceux qui espionnent sans participer
Cependant, les trolls sont moins nombreux que les lurkers (ceux qui guignent). Spectateurs discrets qui espionnent les échanges des autres sans y participer, ils composent la majorité silencieuse. Nous sommes tous à des niveaux différents des lurkers, pour lesquels les trolls se donnent en spectacle.
Tous ces fonctionnements existent d’une manière atténuée en dehors du Net. «Lors d’une soirée entre amis, on croise souvent celui qui ne parle que de lui, celui qui donne son avis sur tout, voire celui qui provoque, etc., assure le Dr Glassey. L’humain n’a pas changé, mais avec le temps, on arrive mieux à définir les subtilités du comportement en ligne. Plus on avance, plus cet univers nous apparaît complexe.» Un bestiaire d’apparence étrange, mais qui ne fait somme toute que transposer des comportements bien familiers.