Réaction chimique forte en CO2
Mais la magie du béton souffre d’un versant moins féerique. «La réaction chimique pour produire le clinker, principal élément du ciment, émet du CO2. Elle est responsable de 7 à 8% des gaz à effets de serre globaux. A cela s’ajoute la production de l’acier d’armature, qui contribue aussi à la production de CO2. Si c’était un Etat, la production mondiale de béton serait le troisième pays le plus émetteur dans le monde, avant l’Union européenne», poursuit Julien Pathé.
Ce constat posé, que faire? «Utiliser ce matériau aujourd’hui en Suisse est une sorte de réflexe dans le milieu de la construction. Nous souhaitons au travers de l’association reposer la question de cette automaticité», expliquent Stéphane Emery et Julien Pathé. «Il ne s’agit pas de stopper le béton, mais plutôt de l’utiliser lorsqu’on n’a pas le choix: dans les parties enterrées, les fondations d’un bâtiment, les tunnels. Pour les parties émergées, nous avons toujours ce réflexe de faire de grands murs en béton. Ne devrait-on pas chercher des alternatives comme le bois, ou des matériaux moins gourmands en CO2? Il n’y a pas de solution idéale, il faut être plus modéré, et dépasser le stade expérimental des alternatives.»
Et d’illustrer: «Des projets sortent de terre aujourd’hui alors qu’ils ont été lancés il y a dix ans, avec parfois un décalage sur les questions environnementales. On peut se demander comment des quartiers d’affaires, comme à Zurich ou à Lancy-Pont-Rouge à Genève, avec des tours bétonnées sans que cela soit nécessaire, voient encore le jour. Ce décalage est aussi présent chez les maîtres d’ouvrage public, comme l’illustre Plateforme 10. La question de la production de CO2 du béton n’est pas une priorité.»
Des structures plus fines pour moins gaspiller
Le béton continue de couler à flots. Alors des chercheurs tentent de trouver de nouvelles façons de le rendre plus durable. C’est le cas du projet de recherche dont s’occupent plusieurs architectes et ingénieurs à l’EPFL, dont Patricia Guaita. Elle participe à un atelier transdisciplinaire avec ses étudiants: construire des habitats modulables en béton-textile. Ce béton ne possède pas d’élément métallique comme armature mais une fibre carbone, plus légère et moins productrice de CO2.
Il s’agit de réduire l’impact des émissions carbone en gaspillant moins: fabriquer des murs et des dalles moins épais. Des échanges avec l’Université fédérale de Bahia au Brésil doivent permettre aux habitants des favelas brésiliennes d’auto-construire des pavillons «avec un système modulaire d’éléments en béton textile facile à transporter ou à produire sur place». «Pour changer les habitudes de construction en Suisse, il faut emmener les étudiants voir ce qui se fait ailleurs. Ici nous sommes dépendants d’une culture du béton ancrée», explique Patricia Guaita.
«Il est possible de réduire les émissions de CO2 du béton jusqu’à 50% aujourd’hui, et non demain, si nous changeons la façon dont nous concevons nos structures. Il faut également réduire sa quantité dans les constructions ainsi que la quantité de ciment dans le béton», défend David Fernandez-Ordoñez, ingénieur et chercheur à l’EPFL.
Pas de solution miracle
Un constat semble rassembler tous nos interlocuteurs: nous ne pourrons jamais nous passer du béton. «Car la quantité demandée au niveau mondial est trop importante», précise Karen Scrivener, chimiste des matériaux, pionnière dans le domaine des ciments. PowerPoint à l’appui, elle explique: «Si l’on remplaçait le quart du besoin en béton par du bois, il faudrait planter une forêt d’une taille faisant une fois et demie l’Inde.»
Au niveau chimique, le ciment a évolué ces dix dernières années, notamment dans son dosage de clinker, obtenu par la combinaison chimique à très haute température de calcaire et d’argile, produisant du CO2. Un nouveau ciment, le LC3, pour «Limestone Calcinated Clay and Clinker Cement», mis au point à l’EPFL sous la houlette de Karen Scrivener, destiné aux pays en plein boom de la construction, pourrait diminuer le bilan carbone de la construction de 25% au niveau mondial. «Mais il ne faut pas s’attendre à une solution miracle. Il faut travailler dès aujourd’hui sur toute la chaîne. En Suisse, la composition chimique du ciment utilisé est en moyenne plus écologique que dans le reste de l’Europe. Mais nous sommes très mauvais à réduire la quantité de béton dans les bâtiments. Il est toujours considéré comme une ressource inépuisable, qu’il n’est pas nécessaire d’optimiser.»