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La Bible sulfureuse de Castellion

Le Musée de la Réforme à Genève présente la nouvelle édition d'une Bible autrefois honnie par les calvinistes.

Calvin avait fini par détester son coreligionnaire Sébastien Castellion, grand humaniste du XVIe siècle. D'abord amis et collègues, les deux hommes, aussi intransigeants l'un que l'autre, s'étaient divisés sur la façon dont le Réformateur gouvernait Genève. Castellion avait accusé Calvin d'être aussi autoritaire qu'un pape. Furieux, ce dernier avait traité son détracteur de «chien». Mis au ban de la société genevoise, Castellion s'était résolu à quitter la Rome protestante en 1544, mais l'animosité entre les deux réformés ne s'était pas éteinte. Aussi, quand une nouvelle traduction de la Bible* en français parut en 1555 sous la plume de Castellion, Calvin, mais également Théodore de Bèze, ne manifestèrent que du mépris pour le travail de l'humaniste, à vrai dire très iconoclaste pour son temps. La présentation, ce soir au Musée international de la Réforme à Genève**, de la toute nouvelle édition de cette traduction chez Bayard est donc une revanche teintée d'ironie pour Castellion. Elle est également un hommage à un monument littéraire longtemps ignoré. Car cette Bible sulfureuse, qui n'avait connu aucune réédition depuis sa première publication en 1555, témoigne du puissant renouvellement de la langue française propre à cette époque. A ce titre, on peut la comparer à la Bible de Luther et à la King's James.

Sébastien Castellion est aujourd'hui connu comme l'«inventeur de la tolérance religieuse». C'est du moins ainsi que l'a dépeint Stefan Zweig, qui lui consacra une biographie en 1936. Castellion était un humaniste hors normes. Né en 1515 dans la région du Bugey, il avait étudié le latin, le grec et l'hébreu à Lyon. Il avait quitté le giron de l'Eglise catholique pour rejoindre Calvin à Strasbourg, puis le suivre à Genève, où il fut directeur du collège de Rives entre 1542 et 1544. Rejeté par les calvinistes pour ses thèses souvent hétérodoxes, il avait été horrifié par le supplice de Michel Servet, ordonné par Calvin. Pour lui, «tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme». Une formule restée célèbre. Il récusait la prétention des calvinistes de s'arroger le droit de condamner quelqu'un pour hérésie et s'était fendu d'un livre sur ce thème, qui fit grand bruit dans les milieux réformés de Suisse.

Castellion avait déjà pris beaucoup de distance avec les réformés lorsqu'il entreprit de traduire les Saintes Ecritures en français. D'où les audaces que cet esprit libre se permit. Car Sébastien Castellion approcha la Bible comme un livre profane, et les réformés ne manquèrent pas de lui reprocher son manque de respect envers le texte sacré. L'humaniste souhaitait en effet que sa traduction puisse être comprise de ceux qu'il appelait «les idiots», à savoir les ignorants et les gens du peuple. C'est pourquoi il n'hésita pas à utiliser la langue populaire, voire à inventer certains mots pour rendre son propos plus intelligible. Par exemple, le terme holocauste devint sous sa plume «brulage». Le vocabulaire truculent et inventif de sa Bible évoque ainsi la puissance créatrice de Rabelais. Castellion, qui voyait dans les Ecritures un livre d'histoire imparfait, trouva également bon d'ajouter à la fin de l'Ancien Testament le livre des «Antiquités judaïques» de Flavius Josèphe, afin de compléter les lacunes de la Bible.

Sa traduction parut à Bâle, où il avait fini par obtenir une chaire de grec après son conflit avec les calvinistes. Mais la Bible de Castellion fut mal reçue car elle s'écartait trop des normes de traduction en vigueur au XVIe siècle. La redécouverte du grec et de l'hébreu avait créé l'impératif du respect de la lettre. Mais à la littéralité, Castellion avait préféré l'écriture, et donc la création. Ainsi, tandis que la Bible d'Olivétan – une des toutes premières traductions des Ecritures en français – était régulièrement réimprimée, la «translation» de Castellion sombrait peu à peu dans l'oubli.

La réédition de cette Bible chez Bayard 450 ans après sa publication est donc bienvenue. Elle permet non seulement de redécouvrir un pan de l'histoire de la Réforme en Suisse, mais aussi d'apprécier un texte innovateur grâce à la reproduction du texte dans une orthographe moderne.

*La Bible nouvellement translatée par Sébastien Castellion, Bayard, 2974 p.

**«Une publication attendue depuis 450 ans: la Bible de Castellion», mercredi 18 janvier à 20h au Musée international de la Réforme à Genève. Avec Frédéric Boyer, directeur des éditions Bayard, Didier Sandre, comédien, et Vincent Schmid, pasteur à la cathédrale Saint-Pierre. Prix de la soirée: 15 francs