Castellion avait déjà pris beaucoup de distance avec les réformés lorsqu'il entreprit de traduire les Saintes Ecritures en français. D'où les audaces que cet esprit libre se permit. Car Sébastien Castellion approcha la Bible comme un livre profane, et les réformés ne manquèrent pas de lui reprocher son manque de respect envers le texte sacré. L'humaniste souhaitait en effet que sa traduction puisse être comprise de ceux qu'il appelait «les idiots», à savoir les ignorants et les gens du peuple. C'est pourquoi il n'hésita pas à utiliser la langue populaire, voire à inventer certains mots pour rendre son propos plus intelligible. Par exemple, le terme holocauste devint sous sa plume «brulage». Le vocabulaire truculent et inventif de sa Bible évoque ainsi la puissance créatrice de Rabelais. Castellion, qui voyait dans les Ecritures un livre d'histoire imparfait, trouva également bon d'ajouter à la fin de l'Ancien Testament le livre des «Antiquités judaïques» de Flavius Josèphe, afin de compléter les lacunes de la Bible.
Sa traduction parut à Bâle, où il avait fini par obtenir une chaire de grec après son conflit avec les calvinistes. Mais la Bible de Castellion fut mal reçue car elle s'écartait trop des normes de traduction en vigueur au XVIe siècle. La redécouverte du grec et de l'hébreu avait créé l'impératif du respect de la lettre. Mais à la littéralité, Castellion avait préféré l'écriture, et donc la création. Ainsi, tandis que la Bible d'Olivétan – une des toutes premières traductions des Ecritures en français – était régulièrement réimprimée, la «translation» de Castellion sombrait peu à peu dans l'oubli.
La réédition de cette Bible chez Bayard 450 ans après sa publication est donc bienvenue. Elle permet non seulement de redécouvrir un pan de l'histoire de la Réforme en Suisse, mais aussi d'apprécier un texte innovateur grâce à la reproduction du texte dans une orthographe moderne.
*La Bible nouvellement translatée par Sébastien Castellion, Bayard, 2974 p.
**«Une publication attendue depuis 450 ans: la Bible de Castellion», mercredi 18 janvier à 20h au Musée international de la Réforme à Genève. Avec Frédéric Boyer, directeur des éditions Bayard, Didier Sandre, comédien, et Vincent Schmid, pasteur à la cathédrale Saint-Pierre. Prix de la soirée: 15 francs