Bill Gates a de nouveau fait fort. En ouverture de la 58e assemblée de l'Organisation mondiale de la santé lundi à Genève, il a annoncé que sa fondation augmentait de 250 millions de dollars sa contribution au projet «Grands défis pour la santé globale». Cette initiative lancée en 2003, avec une première dotation de 200 millions de dollars, vise à pallier le manque d'argent dont pâtirent la recherche et le développement de médicaments pour les maladies spécifiques aux pays pauvres, comme la malaria. Elle financera, dès cet été, des projets sélectionnés parmi plus de 1500 idées provenant de 75 pays, par exemple des vaccins qui n'ont pas besoin d'être conservés au frais.

«Les gouvernements des pays riches ne luttent pas contre certaines des maladies les plus mortelles de la planète, parce que leur population n'en souffre pas. Le secteur privé ne développe pas de vaccins et de médicaments parce que les pays en développement ne peuvent pas les acheter», a déclaré Bill Gates devant l'assemblée, dénonçant cette «tragique inégalité» devant la santé. Cela étant, le patron de Microsoft pense que «nous sommes sur le point de franchir des pas historiques» pour la réduire. La science et la technologie donnent de nouveaux outils tout en favorisant une prise de conscience globale. Des initiatives comme le fonds contre le sida, la malaria et la tuberculose, ou la Commission pour l'Afrique mise sur pied par le chancelier britannique Gordon Brown en témoignent.

Bill Gates identifie quatre priorités. Premièrement, les pays développés doivent augmenter «substantiellement» leurs contributions pour lutter contre ces maladies. Deuxièmement, la recherche scientifique doit s'orienter davantage vers les solutions sauvant le plus grand nombre de vies. Troisièmement, l'effort doit se concentrer sur la simplification de la prise de médicaments et leur distribution. Enfin, les gouvernements des pays riches et pauvres doivent travailler ensemble à la mise en place de mécanismes de marché pour ces médicaments.

Les «Grands défis pour la santé globale» ne sont qu'un des axes de la fondation Bill & Melinda Gates dans le domaine de la santé. En janvier, celle-ci annonçait un don de 750 millions de dollars à l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation («Global health strategies»). Elle a également un programme spécifique contre le sida, récemment doté de 400 millions de dollars supplémentaires. Un autre vise la tuberculose, avec des contributions dépassant 110 millions de dollars. Les autres soutiens concernent les moyens de contraception dans le tiers-monde (60 millions de dollars) et les moyens d'améliorer la nutrition des enfants (50 millions de dollars).

La fondation a été créée en 1994, l'année où Mary Gates, mère de Bill, est morte. Cette institutrice semble avoir joué un rôle décisif dans la tradition philanthropique familiale, qui s'est par ailleurs inspirée des idées du docteur Gordon Perkins et de son programme «Technologies appropriées pour la santé» basé à Seattle. A ses débuts, l'organisation n'employait que deux personnes à plein temps. Aujourd'hui dotée de 28,8 milliards de dollars, c'est la plus grande œuvre philanthropique du monde. Dans ses comptes 2003 (voir www.gatesfoundation.org), on lit que les dons se sont montés à 1,48 milliard de dollars pour cette seule année: c'est autant que le budget national de la Suisse pour toute l'aide au développement.

Pas étonnant que Bill Gates soit reçu comme un chef d'Etat à la 58e assemblée de l'OMS: par ses contributions et ses idées, il compte plus que la majorité d'entre eux. Au point que certains s'inquiètent de voir l'homme qui a bâti un monopole sur le système d'exploitation des ordinateurs en créer un autre dans le domaine de la santé… Anticipant cette critique, la fondation Bill & Melinda Gates s'efforce de ne jamais faire cavalier seul, cherchant plutôt à stimuler d'autres compétences et sources de financement, notamment pour son projet «Grands défis pour la santé mondiale».

Apparemment, la tactique porte ses fruits. Les réflexions de Bill Gates sur le financement de médicaments dans le tiers-monde rejoignent celles du chancelier Gordon Brown. Ce dernier a visité au Mozambique l'hôpital de Manhica où sera testé ce mois à grande échelle un vaccin anti-malaria prometteur, dont le développement aurait été abandonné sans le financement de la fondation. Au Forum de Davos notamment, le patron de Microsoft a fait du lobbyisme auprès de Gerhard Schröder et de Jacques Chirac. Fin avril, il taillait un bout de conversation avec Bono après le concert donné à Seattle par le chanteur devenu champion de la cause africaine.