Nos vacances en Suisse
En cette période si particulière, Le Temps vous propose une série consacrée à la redécouverte des merveilles helvétiques. En voici le premier épisode.

Il y a cet écoulement. Doux. Constant. Pas comme le son vif d’une fontaine ou d’une cascade. C’est un glissement rapide sans fin. Celui d’une eau qui s’évade le long d’un canal taillé pour elle.

Les bisses valaisans sont les fils conducteurs de nombreuses balades de quelques heures, faciles, en pente douce. En acheminant l’eau des torrents de montagne vers les champs de fauche, les vignes et les vergers, ces voies d’irrigation historiques traversent aussi bien les forêts de mélèzes que les prairies de fleurs.

Marcher le long d’un bisse a un effet méditatif assez surprenant pour plusieurs raisons. A commencer par la simple présence de l’eau qui semble emporter avec elle le brouhaha mental en rythmant les foulées. «L’eau qui s’y écoule paisiblement, à une vitesse qui correspond plus ou moins à celle de la marche, tient le rôle principal, confirme Gaëtan Morard, directeur et responsable scientifique du Musée valaisan des bisses, à Ayent. Un bisse en dehors de sa mise en eau de juin à septembre n’a pas du tout la même ambiance. Il est comme inhabité. L’eau nous attire. C’est un élément naturel avec lequel on associe fortement nos loisirs ou nos destinations de vacances.»

Chemins de mémoire

L’autre pouvoir de ces canaux tient à la mémoire vivante qu’ils incarnent. Entouré de chaînes de montagnes, le Valais compte beaucoup de précipitations et de neige en hiver et un déficient d’eau en été. Creuser des bisses dès le Moyen Age a permis d’acheminer vers les vallées cette eau qui subsiste sur les sommets pendant la saison sèche, pour abreuver le bétail et arroser les prés de fauche, les vignes ou les vergers. Même s’ils ont aujourd’hui un pouvoir touristique, 80% d’entre eux jouent encore un rôle pour l’agriculture. Sans s’en rendre compte, on emprunte donc des chemins qui sont plusieurs fois séculaires. Des tranchées creusées des mains des anciens. Quelques planches de mélèzes qui soutiennent ou orientent. Des ouvrages datant d’une époque où tout était façonné à la main, au ralenti, dans une hyperproximité.

Ici, on marche sur les traces du travail des hommes, à flanc de coteau, sans croiser beaucoup de distraction. C’est très méditatif

Armand Dussex

Se connecter à cette vie rustique d’antan, essayer de l’imaginer tout en marchant, apporte une dimension contemplative à ces escapades. «Certains passages sont hallucinants. N’importe quel visiteur qui débouche sur l’ouvrage de la paroi du bisse d’Ayent reste bouche bée. Ce passage des vestiges (boutsets) suspendus contre la paroi à Torrent-Croix, maintenant remplacé par un tunnel, a pris une valeur particulière depuis qu’il figure sur le nouveau billet de 100 francs», précise le spécialiste.

Pente douce

Le charme des bisses s’explique aussi par leur diversité. Les 280 parcours répertoriés varient tant au niveau du patrimoine, des techniques représentées, que de l’environnement. On trouve des bisses de haute montagne qui traversent des alpages, d’autres dans les forêts qui mènent aux champs ou aux vignobles. «Ils permettent d’aller dans des zones où l’on ne va pas autrement, comme les gorges de vallées profondes. Les chemins presque plats demandent peu d’effort et changent de paysage au fil de la marche. C’est très différent des randonnées classiques qui relient les sommets», observe Armand Dussex, ancien gardien de cabane et initiateur du Musée valaisan des bisses qui a publié plusieurs livres sur le sujet.

Revoir  notre vidéo sur le grand bisse d'Ayent

Dans son dernier ouvrage qui vient de paraître aux Editions Rossolis, Grandes Randonnées le long des bisses, il propose des treks de plusieurs jours inspirés de ceux, une vingtaine, qu’il a faits au Népal. «J’y vois plusieurs analogies. On découvre l’Himalaya le long de chemins ancestraux qui pénètrent dans les fonds de vallées pour aboutir à des villages. Ici, on marche sur les traces du travail des hommes, à flanc de coteau, sans croiser beaucoup de distraction. C’est très méditatif, assure-t-il. On a le temps de se laisser pénétrer par l’ambiance, la forêt. Il y a une dimension plus romantique que l’ascension de cols où c’est la performance qui prime.» Ses itinéraires visent à suivre plusieurs bisses en une journée et à passer la nuit dans des auberges de village, loin des stations. A faire sur un week-end ou une semaine. Dans la fraîcheur des courants. Au pas de l’eau. En faisant la course aux pives pour garder la cadence.


Quelques bisses emblématiques:

  • En Haut-Valais, dans la région du Simplon, le bisse de Bärgeri, élu bisse de l’année 2020 par l’ABV (Association des bisses du Valais), est l’un des plus anciens. Il prend son eau dans le Nesselbach et termine son cours dans le Taferbach. Il n’est pas facile d’accès, parce qu’il est accroché dans un paysage sauvage, très boisé et sans aucune habitation.
  • Le bisse de Bitailla fait partie des rares canaux qui restent en eau toute l’année. Il irrigue un vaste territoire sur la commune d’Ayent, en traversant le vallon sauvage de la Sionne, depuis Anzère jusqu’à Saxonne. Son parcours met en avant un système ingénieux de répartition de l’eau pour les villages.
  • Le célèbre bisse d’Ayent, imprimé sur les billets de banque, a traversé toutes les époques et compte des passages suspendus spectaculaires. Il relie les communes d’Ayent et de Grimisuat. Il peut également être la suite du bisse du Rho qui part de Crans-Montana ou se faire en boucle avec le bisse de Sion en partant d’Anzère.
  • Le bisse du Torrent Neuf, à Savièse, est surnommé le bisse Disneyland depuis qu’il a été réhabilité de manière spectaculaire, avec des ponts suspendus et des passages le long de parois vertigineuses.
  • Le bisse Vieux et le bisse du Milieu à Nendaz permettent de faire une boucle sur quatre heures de marche. Les chemins sont faciles et on y croise des buvettes.

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