Le bois brûlé, une alternative au vieillissement

Savoir-faire Un architecte voyageur a remis au goût du jour une technique nippone qui donne au bois sa couleur définitive

Fred Hatt, du bureau lausannois Tangram, est aussi chercheur au laboratoire Ibois de l’EPFL. C’est dire qu’il sait comment plier ce matériau naturel à sa volonté. Lors de la reconstruction d’une ferme à Montheron, commune de Lausanne, il a convaincu les propriétaires de barder la partie haute de la bâtisse traditionnelle de planches de bois préalablement brûlées au chalumeau selon une technique ancestrale venue du Japon, appelée «shou sugi ban» ou «yakisugi».

«C’est une donnée de société: le bois qui change de couleur dérange. Ou alors on veut la patine tout de suite, on achète du vieux bois, on démantèle des vieux chalets. On est dans une société de l’immédiateté. On apprécie un chalet grisé uniformément car il porte la marque du temps, tandis que s’il est en bois clair, on pense qu’il est neuf. Grâce à certains subterfuges, on peut faire en sorte que le bois ne change plus d’apparence, telle la pose de planches brûlées, déjà noires», énonce Fred Hatt.

Ayant travaillé au Japon à plusieurs reprises, il a été frappé par une petite maison de thé conçue par un architecte grâce à cette méthode. Souhaitant l’interpréter lors de la reconstruction de la ferme de Montheron, il se heurte à la perplexité des professionnels «Toutes les entreprises m’ont pris pour un fou. Mais quand j’ai commencé à montrer le projet, ça a ouvert la mémoire à certains qui se sont souvenus que ce savoir-faire fut exercé il y a longtemps en Suisse. J’ai appris à cette occasion que certains chalets du Valais sont très noirs parce que les paysans les badigeonnaient, pour protéger le bois des insectes et des intempéries, de l’huile de moteur de leur tracteur qui était pleine de cambouis. Ça ne coûtait pas cher, c’était le recyclage de l’époque», ironise l’architecte.

La méthode du bois brûlé change la structure de celui-ci et, paradoxalement, le fortifie contre le feu. «Au départ, je craignais une interdiction du service des incendies parce qu’on peut imaginer que lorsqu’une bûche a commencé à se consumer dans la cheminée, puis s’est refroidie, le feu repartira plus vite. Alors que c’est l’inverse: les molécules s’agglomèrent, le bois se durcit et l’oxygène ne passe plus», rassure Fred Hatt.

Une simplicité de procédé

Occupant une partie de son temps libre à passer au chalumeau les planches de mélèze avec l’aide des collaborateurs de Tangram et des propriétaires, l’architecte estime aujourd’hui le temps de travail total pour le bardage de la ferme à deux semaines pour une personne. «Il faut maîtriser la couleur: si on brûle peu, le bois devient brun, si on brûle beaucoup, il devient très noir, ce que je souhaitais. Traditionnellement, au Japon, le procédé est de placer trois planches adossées les unes aux autres, formant une cheminée, avec un feu en bas, dont les flammes lèchent le bois et cela pendant sept minutes. Donc, au bout de trois minutes et demie exactement, les planches sont posées dans l’autre sens pour que la combustion soit uniforme. Puis on éteint avec de l’eau.»

Autre avantage, ce bardage foncé a permis à l’architecte de contourner élégamment les exigences du Service du territoire, qui préconisait de conserver l’esprit originel de la ferme sans en changer les ouvertures. L’architecte en a pratiqué plusieurs qui restent invisibles de l’extérieur, car masquées derrière le lattage de bois.

«Entre chaque planche a été posé un couvre-joint (tasseau couvrant la fente entre deux lattes) qui a été surdimensionné de façon à ce qu’il passe par-dessus le vitrage. C’est une bonne astuce lorsqu’on souhaite de nouvelles ouvertures. »

Même si le soir on distingue des rectangles de lumière dans l’habitation, le Service du patrimoine s’est déclaré ravi du résultat puisque la ferme, entièrement rebâtie, a l’air ancienne.

Après avoir remarqué quelques inégalités de ton en fonction des différentes personnes qui ont brûlé les planches avec plus ou moins de conviction, Fred Hatt vient de se lancer dans une autre transformation en peaufinant sa technique .