Sacrés idiomes (1/5)
Si le suisse-allemand conserve l’idée d’un roulement, l’idée se perd dans les méandres d’un faste repas à l’italienne et aboutit, dans les Grisons, à un nombre doublement triste

Au tournant de l'année, «Le Temps» fouille dans les expressions idiomatiques traduites dans les quatre langues nationales (source: Marine Borel, «D'une pierre 4 coups», Ed. Salvioni). Dans les autres langues: «4 Fliegen mit einer Klappe», «4 Piccioni con una fava», «Ün viadi e 4 servezzans».
Au bout du rouleau… c’est peut-être l’état dans lequel vous vous trouvez après ces longs mois de doute auxquels se sont additionnées la bûche et la fondue chinoise. Les auteurs de D’une pierre 4 coups préviennent: «Cette expression est antérieure à l’invention du papier toilette.» Forts d’une telle certitude, nous pouvons remonter la bobine jusqu’au terme dont il est issu, «rollet», qui désignait, au théâtre, un petit bâton autour duquel était enroulé le texte des comédiens. Au XVIIe naît alors «être au bout de son rollet», qui signifie «être à court d’arguments pour défendre son propos». Ce n’est qu’au XIXe que «rouleau» apparaît et que la phrase change de sens pour signifier que l’on est «au bout de ses ressources».
Mécanique et panse farcie
Du côté de nos voisins alémaniques, il n’est pas question de comédie, mais de mécanique. «Uf di Fälge sy», littéralement «être sur les jantes», après que tout l’air du pneu s'est échappé. L’expression date du XXe et se retrouve dans plusieurs dialectes suisses-allemands. Un peu plus au sud, les Tessinois ont le bon goût de relier ce sentiment de fatigue à l’alimentation: «Essere alla frutta», «être aux fruits», réfère à la fin du repas. Vous savez, quand vous avez ingéré les antipasti, puis le primo piatto – souvent des pâtes, que vous pensiez être le mets principal – suivi du secondo, garni de viande ou de poisson et qu’enfin, après avoir déboutonné votre pantalon, on vous présente… un plateau de fruits. Fin du repas, fin des ressources. Le détail suggère qu’en italien on emploie cette expression dans toute situation globalement sur le point d’échouer.
Aux Grisons, la privation
Dans les Grisons, enfin, l’équivalent est inattendu: «Esser ora sils curontin», qui, en dialecte sursilvan, veut dire «être sur son quarante et un». Mais point d’histoire de paillettes. Dans la région de Surselva, le nombre 41 est associé à l’épuisement car il se situe au croisement de deux autres nombres symbolisant la privation: 40 (quarantaine, tiens!) et 31, symbole des fins de mois difficiles.