Aujourd'hui, la limonade gazeuse de La Fiorenzana figure au menu de 160 établissements zurichois. 350000 bouteilles, soit près de 50% de la production de l'entreprise familiale, sont destinées à la consommation au nord des Alpes. Depuis cet été, cette gazosa émerge bulle à bulle en Suisse romande, surtout à Genève.
La limonade gazeuse tessinoise est servie dans des bouteilles en verre avec fermoir traditionnel mécanique, qui, avec leur contenu rose, bleu, orange ou transparent, éveillent souvenirs ou curiosité. Citron, framboise et mandarine sont les parfums traditionnels que l'on trouve chez chaque fabricant. A quoi La Fiorenzana a ajouté la variété orange amère et, depuis trois ans, myrtille. «J'ai toujours voulu avoir une limonade bleue, raconte Roberto, j'ai demandé aux Ponzio s'il était possible d'en faire. Quelque temps après, l'oncle Gianni m'a dit avoir retrouvé une vieille recette à la myrtille. Aujourd'hui, c'est une des préférées des Alémaniques.»
La Fiorenzana compte sur ses ventes en dehors du Tessin pour compenser son déclin sur son marché d'origine. «Les gens aiment la couleur locale de la gazosa, continue Roberto. Cet attrait pour les produits régionaux, on le retrouve dans la montée en force des bières locales.» Et puis, le buveur de gazosa est souvent animé par le désir de consommer altermondialiste - on se souvient du succès de l'Afri-Cola, du Corsica-Cola et de tous ces colas locaux, consommés pour faire la nique au Coca américain. Sauf que la gazosa offre, en plus, l'authenticité d'une tradition. «Après la globalisation et l'importation, certains clients se tournent vers les produits suisses», analyse Roberto. Plutôt boire de La Fiorenzana au goulot que décapsuler une canette de Sprite, en somme.
D'ailleurs, Roberto Feusi tient à préserver le lien entre son client et son breuvage: «Nous refusons une commercialisation à plus grande échelle, nous ne faisons pas de publicité et nous ne travaillons qu'avec des revendeurs indépendants.» L'un d'eux, Liberto Clavero, fondateur du Réservoir, y trouve son compte: «Nous ne représentons que des produits indépendants et de préférence suisses. A Genève, la gazosa se trouve principalement en milieu alternatif.» A la buvette du Théâtre du loup ou de l'Usine. Sur les tables du bar Le Phare. Les spécialistes de la vente appellent cela de la rétro-innovation: ne rien changer au produit traditionnel, mais y adapter les techniques modernes de production et de marketing. La limonade française Lorina, qui existe depuis 1895, en est un autre exemple des plus éloquents. «Ce que nous recherchons, c'est l'effet madeleine de Proust. Nos clients sont des gens qui, il y a vingt ou trente ans, buvaient de la limonade. C'est pour eux un voyage dans le passé», explique Jean-Pierre Barjon, PDG de Geyer Frères. En France, on trouve la Lorina chez Carrefour, Casino et les autres. Ce qui ravit les nostalgiques, comme cette maman genevoise, qui n'a pas hésité, le week-end dernier, à traverser la frontière pour avoir une bonne limonade avec une jolie étiquette à servir à l'anniversaire de sa fille. Car les restaurateurs sont unanimes: c'est la bouteille en verre et son fermoir à l'ancienne qui séduisent les clients. Jean-Pierre Barjon précise: «Le PET est poreux alors que le verre est hermétique. La combinaison verre et bouchon mécanique avec lamelle en caoutchouc préserve le goût de la limonade.» La limonade retrouvée, sans temps perdu.