«Aller-retour Corfou, 399 francs», «Une semaine en Tunisie pour 699 francs», «Bangkok, trois nuits comprises, pour 1155 francs»: la saison des braderies bat son plein dans le secteur du tourisme. Affiches de vitrines, annonces dans la presse et sites Internet rivalisent pour capter les derniers candidats au départ. Mis à la mode il y a quelques années, l'expression «last minute» a peu à peu remplacé les mots «soldes», «bonnes affaires» ou «offres spéciales». Normal: il est d'un usage moins risqué pour les tour-opérateurs, sommés par les autorités de clarifier leur communication de prix. Les mots «last minute» n'engagent personne mais suggèrent que le client va faire des économies. Et tant que le législateur ne s'en sera pas emparé, les voyagistes en profiteront bien.

Que cache le billet pour Corfou vendu par Helvetic Tours 399 francs? Le chaland appâté doit se pencher sur les petites lignes du bas de l'affichette ou cliquer plusieurs fois sur son ordinateur pour découvrir un chapelet de suppléments. 50 francs de taxes d'aéroport, 30 francs de frais de dossier, 25 francs d'assurance annulation (présentée comme «obligatoire»), 30 francs justifiés par l'augmentation du kérosène (en début d'année), 50 francs de «supplément de vol». Ouf. Total de la douloureuse: 584 francs, auxquels ajouter la navette Genève-Zurich à 99 francs mininum: 683 francs. Quant aux célibataires qui optent pour un séjour avec hôtel, ils découvriront que 80% des «last minutes» ne proposent aucune chambre «single». Et que pour les 20% restants, l'esseulé doit s'acquitter d'un nouveau supplément, qui varie de 100 à 300 francs. Une semaine en Tunisie annoncée à 495 francs pourra ainsi coûter au célibataire 920 francs… sans la crème solaire.

Les habitués, qui réglaient sans rechigner quelques suppléments, s'étranglent en découvrant cette inflation de taxes. Qu'est-ce donc que le «supplément de vol»? Sa raison d'être change selon les tour-opérateurs. Dans les agences de Helvetic Tours, maître du genre, on le justifie par une réservation vraiment trop tardive: «Il y a moins de places, donc c'est plus cher.» Chez les revendeurs indépendants, on râle au contraire devant cette nouvelle pratique peu appréciée du client. «Mais le last minute n'est pas forcément bon marché, réagit Regula Weyermann, la porte-parole de Helvetic Tours. Cette année, au catalogue, nous avons instauré plusieurs niveaux de prix. Plus on réserve tard, plus le prix peut augmenter.» Ainsi, sur Internet, un acheteur voit en une minute sa facture pour deux séjours en Tunisie augmenter de 100 francs. Explication des informaticiens contactés: la dernière place à prix normal a dû être attribuée en même temps à un autre surfeur. Les ressorts du système ne sont pas expliqués sur le Web et c'est à peine mieux dans la version papier. Son catalogue a d'ailleurs valu à Helvetic Tours les remontrances des autorités en début d'année. Imholz et d'autres de ses confrères justifient les «suppléments de vols» par des vols spéciaux qu'il faudrait affréter lors des grandes transhumances de l'été. Charges extraordinaires donc, mais pourquoi apparaissent-elles alors dès janvier dans les catalogues? Dans la pratique, ces suppléments servent surtout à augmenter le prix des rotations les plus demandées, départs du vendredi soir, retours du dimanche soir…

Les «frais de dossier» étonnent tout autant. A leur origine, rappelait récemment la SonntagsZeitung, ils étaient censés soutenir les agences, dont les commissions ne cessent de baisser. Alors pourquoi les faire payer aussi sur les sites Internet des grands voyagistes? «Pour ne pas favoriser un canal au détriment d'un autre», expliquent ces derniers. Mais Helvetic Tours, sans doute gêné, a rebaptisé ce poste «garantie de voyage». Sur les affiches des vitrines Imholz, enfin, il faut écarquiller les yeux pour apprendre, tout en bas, que «Votre agence de voyages peut percevoir des frais de réservation et de dossier». Hypocrisie: toutes les agences du groupe demandent à leurs clients les 25 francs de frais de dossier. «Ce distinguo permet aux agences indépendantes qui le souhaitent de ne pas exiger ces frais», justifie l'entreprise. Nombre de compagnies se réservent de surcroît le droit de monter à 60 ou 120 francs ces frais si le dossier est «complexe». Le flou artistique semble parfaitement entretenu.

Que fait donc la police du commerce? Rien jusqu'à présent, puisque les tour- opérateurs jonglent malicieusement avec le droit. «Rien n'indique que la profession pratique une entrave à la concurrence ou quelque entente», expliquent la Commission de la concurrence et Monsieur Prix pour justifier leur indifférence. Reste au Secrétariat des affaires économiques (SECO) à vérifier que les tour-opérateurs ne s'écartent pas du code de bonne conduite qu'il a édité récemment, pour l'application de l'Ordonnance sur l'indication des prix. Le document stipule que les prix doivent être «faciles à consulter et aisément lisibles», que les suppléments doivent être précisés et que les frais de dossier doivent servir à payer les activités de l'agence (conseils, réservations). «Je rentre de congé et je suis déçu de découvrir cette profusion de suppléments, se lamente Guido Sutter, du SECO. Je ne comprends pas non plus qu'en août, on continue à ajouter des suppléments de kérosène pour des offres spéciales qui n'étaient de toute façon pas au catalogue et je trouve malhonnête de ne pas indiquer le coût des frais de dossier sur une affiche. On avait volontairement travaillé en concertation avec les plus grands tour-opérateurs, maintenant on va devoir changer d'attitude.»