Calendrier Pirelli: le sexy selon Annie Leibovitz
Société
Fini l’esthétique porno chic, la 43e édition du calendrier mise sur des portraits majoritairement habillés de femmes de tous âges, célèbres pour leur talent plus que pour leur plastique. «Une révolution», clament les réseaux sociaux

Deux indices suffisent-ils à faire une tendance? Oui, quand il s’agit de deux mythes. Entre James Bond qui jette son arme par-dessus le pont à la fin de «Spectre» pour partir main dans la main avec son nouvel amour et le calendrier Pirelli qui abandonne ses «plastiques impeccables» pour des femmes «remarquables», comme l’a retwitté Marc Dorcel, éditeur de films gentiment X, il se passe quelque chose dans le monde du machisme assumé.
On laissera aux sociologues le soin de commenter cette éventuelle nouvelle lassitude occidentale pour ne retenir que l’événement du jour: les réseaux sociaux sont fous du nouveau calendrier Pirelli imaginé et réalisé par la photographe américaine Annie Leibovitz, celle qui a mis en boîte tous les people les plus prestigieux depuis vingt ans.
«Féministe», «classique», «révolutionnaire» sont les trois mots qui reviennent pour qualifier ce calendrier, édité comme tous les autres depuis 1964 en exemplaires restreints et réservé aux plus fidèles clients de la marque italienne.
Reprenons la trilogie.
Féministe parce que les 12 femmes qui servent de modèles sont des emblèmes de la réussite sociale, professionnelle, culturelle ou sportive. Si elles sont célèbres, ce n’est pas en raison de leur beauté mais de leurs actions, talent et force de caractère. On citera Patti Smith, Yoko Ono, la productrice Kathleen Kennedy, l’écrivaine Fran Lebowitz, la blogueuse star Tavi Gevinson ou Natalia Vodianova, seul mannequin du casting. Ce sont de «vraies femmes», comme tous les sites féminins se plaisent à le répéter.
Classique, parce qu’Annie Leibovitz a choisi de faire des portraits en noir et blanc, en studio, sans effets spéciaux. Elle-même est devenue une classique. Etre photographiée par Annie Leibovitz est un honneur, une consécration.
Révolutionnaire, car contrairement à la tradition, il n’y a aucune photo de charme. La plupart des femmes posent habillées ou à peine dénudées comme la comique féministe Amy Schumer, talons hauts et petite culotte, en train de boire un café sur un tabouret. L’image est d’une joyeuse ironie. «Son portrait ajoute un côté amusant. C’est comme si elle n’avait pas reçu le mémo l’informant qu’elle pouvait rester habillée», dit Annie Leibovitz.
Compatible avec les réseaux sociaux
Pirelli voulait un calendrier de rupture. C’est réussi. Annie Leibovitz change radicalement le message du fabricant de pneumatiques, et le sens du verbe mater (reluquer ou dompter). Avec cette 43e édition, on ne mate plus, on se fait mater. A ce titre, l’image la plus spectaculaire est celle de Serena Williams, véritable Hercule féminin. Sur les réseaux sociaux, elle suscite des commentaires tranchés. Pour certains, c’est une déesse antique à la force majestueuse, pour d’autres, une créature effrayante. Un commentaire déposé sur Facebook la compare même à une Hummer, ces voitures tout-terrain adorées de Schwarzenegger.
@serenawilliams bares all as @Pirelli’s 2016 calendar cover star: https://t.co/Nga8EGBerg pic.twitter.com/i0aSz4VNwz
— Upcoming 100 Chart (@Upcoming100) November 30, 2015
Contrairement aux années précédentes, ce Pirelli 2016 est salué à l’unanimité, ou presque. Il faut dire qu’il a tout juste. Il surfe sur l’«effet Dove», sa revendication des beautés plurielles et son refus des normes imposées par le milieu de la mode. Annie Leibovitz photographie des femmes de tous âges (Agnes Gund, la philanthrope, a 77 ans), de toutes origines (l’actrice chinoise Yao Chen ou la vidéaste iranienne Shirin Neshat) et de toutes tailles. D’autres calendriers s’y sont mis. Celui de l’équipe féminine de rugby d’Oxford, par exemple, qui lutte contre l’anorexie. Mais Leibovitz fait plus, elle redéfinit le terme même de sexy: est sexy ce qui est accompli. Un tweet devenu slogan le résume ainsi: «Brains before boobs («des cerveaux avant des seins»).
Autre atout de ce calendrier: il est réseau-compatible. Comme il n’y a pas de seins visibles, et aucune nudité frontale, toutes les images peuvent s’afficher sur les fils Facebook et Twitter, Instagram, sans risque d’être censurées. Hier, c’était une véritable déferlante. Annie Leibovitz épouserait-elle les normes éthiques, esthétiques et un peu puritaines des réseaux sociaux? En serait-elle l’emblème chic? Il ne faut pas l’exclure.
A moins qu’elle ne s’en serve pour élargir la notion de sexe et de genre. Pour elle, une femme ne se reconnaît pas à son anatomie ou au regard que l’on porte sur elle, mais par son goût d’être femme, selon ses propres critères. La preuve par deux couvertures de Vanity Fair qui l’ont rendue célèbre, celle de Demi Moore nue et enceinte de sept mois et celle de William Bruce devenue Caitlyn Jenner à 50 ans.