C
alvin fait fureur en Amérique. Non pas le personnage de la bande dessinée de Bill Watterson dans laquelle il apparaît aux côtés de son tigre en peluche Hobbes, mais Jean Calvin, le réformateur qui orne le grand mur du parc des Bastions à Genève et dont le 500e anniversaire de la naissance a été célébré en grande pompe en 2009. Le succès de ce néocalvinisme, qui était déjà apparu au début du XXe siècle avant de s’estomper, est d’autant plus étonnant que la fréquentation des églises en Amérique, selon Barna, un institut de recherche de Californie, a chuté de 43% en 2004 à 36% en 2014. En 2010, le magazine Newsweek annonçait de façon alarmiste «la fin de l’Amérique chrétienne».
A la Capitol Hill Baptist Church, une église qui se réclame du calvinisme, à un jet de pierre du Congrès américain, les bancs ne sont plus vides. Il y a foule. L’âge moyen des fidèles qui s’y rendent avoisine les 30 ans, alors qu’il était plutôt de 70 ans voici vingt ans, explique au Temps Mark Dever, le pasteur. «La foi connaît des hauts et des bas sans qu’on sache toujours pourquoi. Mais il est vrai qu’au cours du dernier siècle les Etats-Unis se sont profondément transformés. Du pays fondé par des Blancs anglo-saxons au mouvement des droits civiques des années 1960 en passant par une forte immigration et une sécularisation rampante de la société, certains Américains souhaitent revenir à la base, à ce que la Bible enseigne.» Collin Hansen, directeur éditorial de la Gospel Coalition, un groupe qui promeut le calvinisme au sein des Eglises évangéliques, a aussi son explication: «Nombre de grandes Eglises aux Etats-Unis dispensent de bons conseils pour vivre le mieux possible la vie présente. C’est souvent très émotionnel. Ces Eglises évitent tout discours sur la souffrance. Nous calvinistes ne voyons pas les choses ainsi. Il n’est pas possible de faire abstraction de la souffrance. Au contraire, Dieu s’en sert pour attirer l’attention.» Pour Collin Hansen, les incertitudes du monde actuel et les excès de la société de consommation ont poussé des gens à s’accrocher à des points de repère solides comme les Ecritures. «Les jeunes vont à l’église pour savoir ce qu’il y a dans la Bible», relève Barton Gingerich, 25 ans, chercheur à l’Institute on Religion and Democracy à Washington. «Ils ne veulent pas entendre ce qu’ils peuvent trouver eux-mêmes sur YouTube.» Et manifestement, le concept de prédestination cher à Calvin ne les effraie pas.
L’Eglise pour changer le monde
Le renouveau du calvinisme américain doit beaucoup à des figures de proue du protestantisme. A la tête d’Eglises dont la taille est à l’aune du pays, des prédicateurs comme Tim Keller ou Mark Driscoll sont des stars qui préconisent une lecture plus littéraliste de la Bible. Le pasteur Mark Dever n’est pas surpris: «Les Américains sont animés par une vraie volonté de changer le monde et eux-mêmes. En Europe, on est plus résigné.» Directeur de l’Abraham Kuyper Center for Public Theology rattaché au séminaire de théologie de l’Université de Princeton, Gordon Graham voit d’autres raisons sous-tendant ce renouveau: «Les Eglises chrétiennes mainstream se sont affaiblies en embrassant les causes progressistes (avortement, mariage homosexuel) caractéristiques d’une société plus séculaire. Le néocalvinisme est une réponse à cela.» Il prône, ajoute Isabelle Graesslé, directrice du Musée international de la Réforme à Genève, une conversion individuelle, un salut personnel et la puissance de l’Esprit saint. Certains calvinistes vont jusqu’à voir le Conseil œcuménique des Eglises, basé à Genève, comme «une sorte de nouvel Antéchrist». Au sein de la South Baptist Church, le principal réseau d’Eglises protestantes du pays, où les pasteurs calvinistes représentent 30% du total, les controverses théologiques sont inévitables: «Ce néocalvinisme, relève Isabelle Graesslé, entretient une sorte de dispute avec le courant dit évangélique qui n’a pas l’intention de se laisser grignoter des parts du marché religieux américain sans riposter.»
Méfiance vis-à-vis de l’Etat
Le calvinisme outre-Atlantique n’est bien sûr pas un courant nouveau. Il est au contraire à l’origine des Etats-Unis. Son influence a été considérable dès l’arrivée dans le Massachusetts, au XVIIe siècle, des Pères pèlerins, ces puritains anglais, qui s’étaient réfugiés en Hollande. Ils ont créé des universités, dont le Calvin College dans le Michigan. «Leur apport intellectuel à l’Amérique, poursuit Gordon Graham, a eu un vrai impact.» Beaucoup leur attribuent en partie l’individualisme des Américains, leur éthique du travail, voire le rêve américain.
Bien que les néocalvinistes ne fassent pas de politique, ils n’aiment pas le big government, un Etat trop présent. Gordon Graham s’en fait l’écho. Selon lui, le Patriot Act, la loi antiterroriste adoptée par le Congrès au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, est profondément contraire aux principes calvinistes: «Toutes les sphères de la vie obéissent à la souveraineté de Dieu. Les calvinistes n’aiment pas que l’Etat intervienne pour tout uniformiser ou qu’il surveille», à l’image de la NSA, l’Agence nationale de sécurité, Internet et les conversations téléphoniques des citoyens.
,