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Candide. Par Anna Lietti

La dernière fois que ça m'est arrivé, c'était l'automne dernier, à

La dernière fois que ça m'est arrivé, c'était l'automne dernier, à Menton. Belle cité, Menton, avec son bord de mer majestueux et sa pittoresque vieille ville. Nous sommes arrivés les mains dans les poches, il faisait beau, c'était l'heure de manger, deux trois bistrots tenaient terrasse sur la grande promenade qui longe la plage. J'ai dit: «C'est joli, ici, si on s'asseyait pour croquer quelque chose?» Mon homme a hésité une seconde, puis il a haussé les épaules et il a répondu: «Si tu veux.»

Je savais bien pourquoi il haussait les épaules. Mon radar avait, comme le sien, enregistré les données qui ne pardonnent pas: site panoramique, peu de concurrence, lieu de passage touristique. A moins d'un miracle, nous allions manger très mal, pour très cher. Car tous les vacanciers le savent: lorsqu'on s'assied dans un établissement trop bien situé, on ne peut tout de même pas prétendre, en plus, être traité honnêtement. On accepte de devenir ce que les experts en marketing appellent un client captif: celui pour lequel il n'y a pas à faire d'efforts.

Bien sûr, il y a des exceptions à la règle, mais elles se méritent: il faut se méfier, se renseigner. Et, dans l'incertitude, mieux vaut arpenter le centre-ville et chercher le bistrot le moins pittoresque possible, fréquenté par des gens qui, surtout, n'ont pas choisi de visiter la région pour le plaisir. En un mot, il faut travailler.

J'étais en vacances. Toutes ces règles m'ont soudain paru trop pesantes. J'ai voulu y croire, vivre l'aventure. Merci, chéri, de ne pas avoir brisé mon rêve.

Les moules étaient sèches, les frites molles, et seule l'addition était salée. Nous avons échangé un sourire résigné. Eh oui, l'aventure a ses limites. Certaines choses, dans la vie, sont absolument prévisibles.

Puisqu'on parle beaucoup de «malbouffe» ces derniers temps, j'aimerais faire passer un petit message à José Bové et à ses nombreux amis. Leur dire que, pour moi, la véritable malbouffe, c'est cela. Qu'elle a moins à voir avec l'excellence de la nourriture qu'avec le respect des clients.

Je suis très heureuse de savoir que la France est le haut lieu mondial de la gastronomie, où l'on peut déguster, dans la porcelaine et le cristal, des mets d'une finesse divine et de grands crus insurpassables. Je souhaite longue vie aux producteurs du terroir, à leur chapeau de berger, leur savoureux accent, leur saucisson authentique et leur pain comme on n'en fait plus. Mais, lorsque je voyage, le pays de la bonne bouffe serait celui où je n'aurais pas besoin de prévoir un parcours gastronomique pour être traitée avec décence. Par exemple, je pourrais m'arrêter sur une aire d'autoroute et manger – oh divine surprise! – un honnête sandwich, confectionné avec du pain frais et un minimum de soin.

Mais les aires d'autoroute, encore plus que les terrasses, sont le haut lieu de la souffrance ordinaire pour le client captif. A propos, il me semble que les McDonald's sont nés précisément sur la route: avec la promesse de bannir les mauvaises surprises. Ils ont eu, allez savoir pourquoi, un certain succès.