Capsules vidéo, prières virtuelles: la foi au temps du confinement
Religion
Malgré l'imminence des fêtes de Pâques, les Eglises tournent au ralenti comme le reste de la société. En Suisse romande, les initiatives fleurissent et offrent des opportunités de moderniser ces institutions

«Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester sains dans un monde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons: réveille-toi Seigneur!» Cet appel, le pape François l’a lancé le 27 mars dernier au Vatican, debout devant une place Saint-Pierre sous la pluie… et désespérément vide.
L’image, inhabituelle, dit bien le désarroi de l’Eglise catholique face à la crise. Qui, comme le reste de la société, pleure ses morts (rien qu’en Italie, une vingtaine de prêtres sont décédés des suites du virus) et tente depuis quelques semaines de concilier foi et confinement. Un défi d’autant plus épineux à l’approche des fêtes de Pâques, rendez-vous suprême du calendrier chrétien.
Comme les amateurs de concerts ou de bonnes tables, les croyants suisses se retrouvent orphelins du jour au lendemain. Car si la plupart des lieux de culte sont autorisés à rester ouverts durant la journée, toutes les manifestations religieuses sont interdites, qu’elles soient catholiques, protestantes, juives ou islamiques. Une décision qui a pu provoquer le chagrin, voire l’incompréhension des pratiquants les plus fervents.
Au temps de la peste
«On m’a rétorqué qu’au temps de la peste on organisait des processions, et que les précautions actuelles témoignaient d’un manque de foi, note Mgr Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Je leur ai répondu qu’à l’époque on ne savait pas comment la maladie se transmettait, alors qu’il est aujourd’hui de notre devoir de chrétien de sauver des vies.»
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Ce qui implique de renoncer à certains rites, rendus impossibles à distance. La confession, par exemple, ne peut se faire au téléphone, car elle requiert la présence physique des deux personnes. Et on imagine la communion (ou le fait de recevoir l’hostie) difficile depuis son salon… «En réalité, on dit depuis des siècles que si quelqu’un ne peut recevoir un sacrement pour une raison indépendante de sa volonté, il peut l’obtenir par son seul désir», précise Mgr Morerod.
Si certains ont commencé à prier en famille, les messes restent un moment d’échange très apprécié, notamment des croyants les plus âgés désormais confinés. Comment alors maintenir le lien et entretenir la foi? De part et d’autre de Suisse romande, les initiatives fleurissent. «Main dans la main avec les réformés, nous proposons de placer une bougie à la fenêtre chaque jeudi à 20h et prier», signale Mgr Morerod. Qui, outre les bougies, n’a pas hésité à faire appel à la technologie: c’est désormais devant une caméra que l’homme d’Eglise enregistre la messe quotidienne, diffusée sur le site du diocèse.
Prière et newsletter
Il n’est de loin pas le seul. Celle de l’évêché de Sion est retransmise en direct sur Canal9; la version en ligne du journal Réformés propose depuis peu de petites capsules vidéo spéciales confinement; quant aux pastorales jeunesse de Suisse romande, elles ont lancé le site paqueschezmoi.ch pour une montée vers Pâques virtuelle. Sur la Toile, les contenus spirituels se multiplient. «Mes amis n’arrêtent pas de m’envoyer des liens sur YouTube, que je regarde en cuisinant ou en repassant», s’enthousiasme Gisela, protestante quinquagénaire confinée chez elle à Gland.
Le tout est de faire preuve d’inventivité. «Puisqu’on ne peut plus célébrer le culte, nous transmettons des prières et des méditations via une newsletter hebdomadaire, raconte Renaud Rindlisbacher, jeune diacre dans la paroisse protestante de Saint-Prex. Je trouve important de partager une parole d’espérance.» Pour ceux qui n’auraient pas accès à internet, une permanence téléphonique a aussi été mise en place. «On s’est réparti les villages pour prendre régulièrement des nouvelles des paroissiens. Certains vont bien, d’autres se sentent plus seuls.»
D’autres situations s’avèrent plus délicates, comme les cérémonies funéraires en comité réduit. «On a réfléchi à des pistes pour ceux qui ne pourraient pas y assister: filmer, enregistrer la voix… La famille ne le souhaitait pas. A ce niveau, on tâtonne encore.»
De Meyrin à la Réunion
Des tâtonnements, et autant d’opportunités pour une institution qui amorçait jusque-là avec peine le tournant du numérique, communiquant principalement via les affichages et annonces le dimanche. Philippe Golaz, pasteur genevois de 29 ans et «geek» autoproclamé, s’en félicite. Depuis deux ans, il tente de moderniser le «gros bateau» qu’est la paroisse de Meyrin pour toucher d’avantage de jeunes. «Je fais partie de ceux qui pensent que l’Eglise a aussi sa place sur internet!» Des comptes Facebook et Instagram devenus précieux en ces temps de crise – et dont le nombre d’abonnés a quintuplé.
«Evidemment, cela ne remplace pas la rencontre, mais la diffusion via Facebook Live permet d’échanger simultanément dans les commentaires. J’ai lu de très belles choses», se réjouit Philippe Golaz. Grâce à la fonction «partage», les frontières tombent: ses cultes sont désormais suivis par une centaine de fidèles de Suisse, de France et même de la Réunion.
Marche à suivre
Même loin des ogives, la pandémie rassemble. «On est assez émerveillés de ce qui se met en place, avec des groupes de quartier, tout un réseau pour assurer les courses et une certaine proximité spirituelle avec les personnes touchées», acquiesce Pierre-Yves Maillard, vicaire général de Sion.
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Un élan de solidarité qu’observent les autres communautés religieuses. Alors que la Pâque juive (ou Pessah) débute ce mercredi, la communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud, soutenue par des bénévoles, s’est organisée pour permettre aux familles de préparer le repas traditionnel, aux ingrédients et au déroulé très spécifiques. «Nous avons organisé un service traiteur qui livrera une centaine de plateaux avec le vin, le pain azyme, les produits cashers ainsi qu’une marche à suivre détaillée, nous informe son président, Alain Schauder. La fête de Pessah étant familiale par excellence, certains ont en effet l’habitude d’être invités et ne l’ont jamais célébrée chez eux!»
Du côté de la communauté musulmane, on s’entraide... et on garde espoir. Si les cinq prières quotidiennes, mais aussi le ramadan dès le 23 avril, seront étrangement casaniers, le sort de l’Aïd al-Fitr, cette grande fête célébrant la fin du jeûne un mois plus tard, reste à déterminer. «Comme chaque année, la Fondation culturelle islamique de Genève a réservé une salle à Palexpo pour l’occasion et nous n’avons pas encore annulé», précise Noureddine Ferjani, imam de la grande mosquée de Genève.
Tondeuse à gazon
D’ici là, chacun est encouragé à revoir sa théologie. «Dans les textes, le Prophète évoquait déjà la question de la pandémie, en appelant ceux qui vivent dans les terres infectées à ne pas sortir de chez eux, rappelle Noureddine Ferjani. Le confinement était donc déjà présent dans l’islam.»
En temps de crise, la foi peut offrir un refuge rassurant – mais aussi soulever des questions existentielles. «Ce sentiment d’impuissance devant l’événement nous amène à interroger le sens de la vie, jusqu’à l’existence même de Dieu, relève l’abbé Pralong, supérieur du séminaire de Sion à Givisiez (FR). Nous n’avons pas toutes les réponses, mais nous avons en nous des ressources humaines et spirituelles exceptionnelles pour changer ce qui peut l’être. En cela, l’isolement est propice à révéler ce qu’il y a au plus profond de nous.»
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Une introspection à laquelle se prêtent aussi les futurs prêtres du séminaire, qui ont choisi d’y rester pour vivre le confinement ensemble – à 2 mètres de distance, évidemment. Un confinement riche d’enseignements… inattendus, sur les capacités de chacun: «Puisque nous nous sommes séparés du personnel de maison, nous, les responsables, nous sommes mis à la cuisine. Et les séminaristes ont empoigné les pattes à poussière et la tondeuse à gazon!»