Catgut, «boyau de chat», c'est le fil résorbable avec lequel des générations de chirurgiens ont fait leurs premiers points depuis les années 20. Mais le calife El Mansour, qui dirigeait l'Hôpital de Bagdad au IXe siècle, l'utilisait déjà.
Cette belle carrière touche pourtant à sa fin pour cause de prion, car le catgut est fait du tissu conjonctif de l'intestin de bœuf ou de mouton. L'Office fédéral de la santé publique (OFSP) recommande donc depuis mars de ne plus l'utiliser. Une décision qui semble pour le moins tardive si l'on considère qu'on a pris conscience du problème de la vache folle depuis 1990.
En fait la Suisse suit l'Allemagne qui a interdit l'utilisation de ces fils au début de l'année, après avoir découvert des cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) sur son territoire. L'Union européenne de son côté n'a pas émis de recommandation, mais une commission est actuellement chargée d'étudier le problème que posent les matériaux médicaux à risque. Quant aux Etats-Unis, ils ne se sont pas penchés sur le problème.
En fait le catgut, selon l'OFSP ne représente que 1% des fils utilisés en chirurgie en Suisse. Les producteurs ont donc accepté de retirer leur produit de ce marché sans faire de difficultés, la plupart des chirurgiens lui préférant les fils synthétiques. A l'Hôpital cantonal de Genève, le catgut n'est plus utilisé officiellement depuis quelques mois. Dans les faits, les chirurgiens des différents services comme le professeur Philippe Morel, directeur du Département de chirurgie, ou Jean-Philippe Guyot, responsable de l'Unité d'otologie, y ont renoncé depuis des années. Tout comme de nombreux chirurgiens installés, ils préfèrent généralement les fils résorbables synthétiques qui présentent des avantages importants sur les fils organiques. «Il n'y a plus aucune raison d'utiliser aujourd'hui le catgut», résume Constant Laverrière, chirurgien généraliste.
Certains vieux médecins ont pourtant longtemps gardé une prédilection pour ce fil historique et ont eu de la peine à accepter sa disparition. «Ils voulaient absolument l'obtenir», explique Brigitte Robbe, responsable du bloc opératoire de la clinique Générale-Beaulieu à Genève. Il faut dire qu'ils ont tous fait leurs gammes avec ce fil mythique. Ce qui a pour corollaire que, pendant des années, les personnes opérées, de l'appendicite par exemple, ont eu des sutures profondes faites avec le catgut.
Les risques de transmission à l'homme de maladies du type de l'encéphalopathie spongiforme transmissible (EST) semblent malgré tout faibles, selon Markus Zobrist de l'OFSP. «Depuis plus de cinq ans, le catgut ne provient que de pays considérés comme exempts d'ESB, tels que les Etats-Unis, l'Amérique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l'Australie», explique-t-il. Comme les premiers cas d'ESB remontent à 1985 la précaution semble, une fois de plus, tardive. Markus Zobrist remarque toutefois qu'«en Grande Bretagne, le catgut n'est pas interdit et les médecins n'ont pas trouvé de corrélation entre les cas de la nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme et l'utilisation de ce fil».
Pour Pierre Baerfuss, directeur d'Assut Medical à Pully, maison spécialisée dans le matériel de suture médicale, l'attitude des autorités manque de cohérence. «Il y a un grand flou dans les discussions. Le catgut est en vente libre aux Etats-Unis, mais en Europe on ne sait pas vraiment à quoi s'en tenir. Alors même qu'il n'y a pas de preuve de contamination à l'homme par ces fils. En revanche, on continue de manger des tripes…»
Le catgut représente 10% des ventes de fils médicaux chez Assut Medical et ce produit est principalement destiné à l'exportation vers l'Afrique et le Moyen-Orient. Pierre Baerfuss estime que ce fil est apprécié en raison de sa qualité – «c'est une fibre naturelle» – mais aussi pour son prix qui, au niveau de la matière première, est quatre fois plus bas que celui de son équivalent synthétique. Un argument de poids pour les pays pauvres. De plus, la production du catgut représente une source de revenus à laquelle des pays comme l'Argentine et le Brésil tiennent beaucoup. «Les Brésiliens se battent à Bruxelles pour que le catgut ne soit pas interdit, affirme Pierre Baerfuss. Je crois, moi aussi, à l'avenir de ce produit.» Un avis qui n'est pas partagé chez Johnson & Johnson, également distributeur de ce produit, où l'on pense que, petit à petit, il disparaîtra.