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Comment avoir chaud sur les cimes tout en restant léger? Sportifs et fabricants d’habits privilégient le poils de la bête, celui du mérinos en particulier. Mais quels sont ses avantages? Points de vue de spécialistes

Les skieurs reprennent du poil de la bête
Skier synthétique ou naturel, telle est la question. Cet hiver, skieurs et fabricants de pulls plébiscitent la laine, celle du mérinos en particulier
Si le Petit Prince savait! Son mouton esquissé en plein désert sous la mine d’un crayon poétique appartient à la lignée d’un bélier colossal. Contemplez ses cornes. Elles sont spectaculaires et tournoient sauvagement pour former une couronne autour de ses tempes. Fier, cet ovidé se tient droit et, malgré un léger strabisme qui ne lui enlève en rien son élégance royale, il scrute l’horizon, conquérant. On l’appelle mérinos et on le compare au cachemire car son pouvoir réside ni plus ni moins dans son poil. Fin et surtout doux. Cet hiver, il envahit les chaînes de production de vêtements de sport en détrônant les matériaux synthétiques d’un coup de sabot. Et dans son sillage, il emporte ses semblables aux poils vertueux, dont le lainage nous assurera un confort ouaté dans le blizzard.
Son succès planétaire date d’il y a vingt ans quand deux marques ont choisi de présenter les premiers tricots en laine mérinos à l’univers sportif. Le néo-zélandais Icebreaker s’est attelé aux vêtements techniques et le britannique SmartWool aux chaussettes. Depuis, chacun a tissé sa propre success story à partir de pelotes tirées de ce mouton soyeux. Et désormais tout adepte d’activités en plein air qui se respecte possède son first layer en mérinos. Une première couche, à même la peau, qui, selon le système trivialement nommé «des trois couches» permet à notre corps glabre de garder la température corporelle à niveau tout en évacuant la transpiration vers les deux couches suivantes, qui tour à tour isolent, respirent et protègent du vent et des intempéries.
En Suisse, cette laine fait des ravages. «Après avoir essayé les textiles en mérinos, les clients ne veulent plus de synthétique en première couche», reconnaît Raphaël Berset, responsable technique chez Yosémite, le magasin de sport spécialisé en montagne à Lausanne. Le discours est semblable chez Bächli, spécialiste dans le même domaine, où le mérinos occupe essentiellement les rayons textiles. Mais on nuance à Verbier. Lors de ses loisirs alpins, Christophe Ebener, gérant du magasin Backside, a eu l’occasion de tester les divers matériaux: «La première couche est celle qui se porte près du corps. Elle doit respirer et sécher rapidement. Le mérinos est hyperefficace, mais il gardera plus d’humidité qu’une fibre synthétique. Par exemple, après une montée, mon pull en laine est chargé d’eau et je dois me changer pour ne pas avoir froid.»
La fibre frisée de la laine isole efficacement grâce à l’air qu’elle contient. C’est pour cette raison qu’elle se porte lâche, contrairement au synthétique qui fait office de seconde peau. Antibactérienne par nature, la laine mérinos ne garde pas les odeurs. Un atout que les aficionados du produit aiment souligner. Mais Christophe Ebener précise: «Il existe tout de même des fibres synthétiques de nouvelle génération qui ne sentent plus car elles sont agrémentées de fil d’argent, un puissant antibactérien. La gamme des premières couches est immense et le client devra décider s’il veut un produit naturel ou chimique avec les avantages et les inconvénients qu’il comporte.»
Casse-tête éthique. Trouver le matériau idéal donne du poil à retordre. Mais du côté des ingénieurs, la nature reste une source d’inspiration intarissable. Chez Schoeller, fabricant de tissus techniques à Saint-Gall, la relation laine-innovation s’avère prometteuse. En combinant la laine avec d’autres fibres, les fabricants saint-gallois élaborent des textiles hybrides à la pointe de la technologie. Dagmar Signer, responsable de la communication de l’entreprise, le confirme: «Depuis quelques hivers, nous utilisons à nouveau de plus en plus de laine comme couche isolante dans notre production. On a longtemps pensé que la fibre synthétique était la plus confortable grâce au fait qu’elle ne gratte pas et qu’elle se lave facilement, mais le mérinos présente les mêmes propriétés tout en étant thermorégulateur.»
Utiliser les matériaux traditionnels avec les techniques actuelles sonne comme la trouvaille du chaînon manquant dans l’industrie textile. «On remarque une volonté évidente de la part des producteurs et des consommateurs de revenir à l’usage des matières premières naturelles», note Nicolas Rochat, patron de la marque de vêtements de sports d’hiver Mover. Pour créer ses habits, il a poussé ses recherches vers les possibilités locales et a choisi d’utiliser la laine suisse récoltée auprès des bergers du pays par Swisswool, une entreprise née d’une initiative en 2009 pour pallier l’interruption des subventions décernées aux éleveurs de moutons. Récoltée les samedis dans vingt-deux points de collecte à travers le pays, la laine est triée par couleur puis lavée et transformée en une ouatine isolante. Nicolas Rochat est enthousiaste: «Non seulement cette laine est locale et entièrement renouvelable, mais en plus elle est 15% plus chaude que le polyester qu’on utilisait auparavant.» Imbattable, dit-il. Mais elle pique. C’est pourquoi cette année sa marque a choisi les pelages d’alpagas élevés au Simplon pour combler ses doublures.
Dans l’Himalaya, ce sont les yaks qui fournissent leur poil à la marque Kora pour créer des first layers. On raconte que leur toison présente des vertus calorifères supérieures au mérinos car le ruminant affronte des climats plus rudes.
Vous avez l’embarras du choix? Rassurez-vous, la nuit, sous les plumes, c’est à poil qu’on se sent le mieux.
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Nicolas Rochat
Patron de la marque Mover
«On remarque une volonté évidente des producteurs et des consommateurs de revenir à l’usage des matières premières naturelles»