Publicité

«La chasteté, oui, j’avais envie de la vivre»

Noémie et Julien ont décidé d’attendre le mariage pour avoir des rapports sexuels. Deux ans après, ils racontent comment ils ont vécu ce choix

Dessin original de Kim Roselier pour Le Temps. — © Kim Roselier pour Le Temps
Dessin original de Kim Roselier pour Le Temps. — © Kim Roselier pour Le Temps

Ahhh l'amour, ses multiples formes et visages, ses chemins de traverse... Cette semaine, «Le Temps» vous propose de découvrir des histoires atypiques, incarnant la diversité des situations vécues dans notre pays, à travers le dialogue de couples suisses.

Le premier volet: «L’homosexualité n’était pas quelque chose dont on parlait ouvertement à l’époque»

Noémie, 24 ans, gérante d'un magasin de sport et Julien, 27 ans, indépendant dans l'évènementiel, nous expliquent leur vœu de chasteté: une pratique encouragée par leur entourage chrétien, mais souvent incomprise des autres à l’heure de Tinder. Mariés depuis deux ans, lotis entre quelques reliefs gruériens et désormais parents d’un petit garçon, ils évoquent avec recul les enjeux de cette décision et ce qu’elle leur a apporté.

Julien : Noémie et moi, on s’est rencontrés il y a cinq ans. J’avais 22 ans, elle 19. Pour comprendre notre histoire d’amour, il faut savoir que celle-ci est née à travers la religion; on est tous les deux chrétiens et engagés dans une église. Cette foi, elle a toujours occupé une place centrale dans ma vie. Mes parents sont chrétiens, j’ai grandi dans ce cadre, on allait à l’église ensemble, en famille. Le gros déclic pour moi s’est fait dans le cadre des scouts des Flambeaux de l’Evangile, des scouts confessionnels. En 2014, on a organisé le camp des 50 ans des Flambeaux. Noémie faisait partie d’une des sections: on s’est rencontrés et… on ne s’est plus jamais quittés.

Noémie : En ce qui me concerne, je n’ai pas du tout grandi dans une famille chrétienne. On n’a jamais été à l’église en famille, même à Noël. En revanche, j’ai commencé les Flambeaux à 8 ans. Il y avait toujours une petite partie de l’après-midi, pendant les rencontres, où les chefs parlaient de Dieu. Quand j’ai eu 13 ans, un déclic s’est produit au niveau de ma foi personnelle et j’ai commencé à me rendre régulièrement au groupe de jeunes d’une Eglise évangélique. J’avais déjà eu plusieurs petites histoires de cœur, puis vécu une relation douloureuse, pas vraiment en accord avec mes valeurs. Je me suis beaucoup remise en question. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de vivre en accord avec le plan que Dieu avait pour moi.

Julien: A l’époque, je n’avais jamais eu de copine, mais je pense que c’était surtout à cause de ma timidité. Je suis de nature très réservée: plus jeune, dès que je devais exprimer ce que je ressentais, j’étais bloqué. Les valeurs chrétiennes, et notamment la chasteté, qui vous encourage à ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage, me parlaient. J’avais envie de les vivre. C’était important pour moi de trouver quelqu’un qui veuille partager cela…

Lire aussi: Pourquoi «Le Temps» parle de sexualité?

Noémie: Au tout début de notre relation, Julien m’a demandé directement quelles étaient mes attentes. On a échangé autour de ce que l’on avait vécu, chacun de notre côté, pour ne pas avoir de secrets. Comme j’avais eu d’autres histoires, j’avais peur qu’il me rejette. Certains chrétiens exigent que tu sois «pure» pour ton mari. Mais pas du tout, heureusement. Toi, tu m’as dit que c’était du passé.

Julien: Clairement: l’important, c’est la façon dont tu te positionnes par rapport à ce que tu as vécu, et si tu es prête à aller sur le même chemin que moi. Ce qui compte, c’est ce qui est devant.

L’idée me plaît de ne pas chercher à comparer, de ne pas courir après la meilleure personne ou le meilleur contexte pour une «première fois»

Noémie: Voilà. C’est là qu’on a compris qu’on partageait la même vision de la religion, qu’on avait envie d’intégrer Dieu à tous les étages de nos vies. Il nous a semblé très vite évident que sa parole, la Bible, aurait donc un impact sur notre sexualité. Or, notre compréhension et notre interprétation du texte, c’est de vivre la sexualité dans le cadre du mariage uniquement. Alors… on ne va pas se mentir: on est des êtres humains, on éprouve du désir et, bien sûr, il y a eu des moments, quand on était tous les deux, qui n’étaient pas faciles.

Julien: Mais on s’était fixé cette limite. A partir du moment où on s’était «choisis», on savait qu’elle serait temporaire. C’est un peu comme… préparer un beau gâteau, savoir qu’on ne peut pas le goûter tout de suite et, en même temps, avoir envie de le manger. C’est un choix, mais il n’enlève rien au désir ni aux sentiments.

Lire aussi : Stève Bobillier, le dialogue entre foi et raison

Noémie: Exactement, ce n’est pas parce que tu attends de manger le gâteau qu’il va devenir sec. Au contraire!

Julien: A partir du moment où on a commencé à en parler autour de nous, la réaction de nos entourages respectifs a été très intéressante: si on n’a pas eu à se justifier auprès de nos familles, d’autres cercles ont exigé des réponses. C’est drôle de voir que ce qui paraît «normal» au sein des scouts de l’Eglise, à savoir la chasteté, dont on parle ouvertement, peut vraiment être stigmatisé ailleurs.

Noémie: On a eu tous les cas de figure…

Julien: Par exemple, dans ma classe, des garçons qui ne partageaient pas les mêmes idées que moi se sont posé beaucoup de questions. Ils voulaient vraiment comprendre. D’autres se moquaient, me traitaient de chrétien coincé, disaient que j’étais vieux jeu […]. Ça donne toujours lieu à des débats. C’est sûr que ce n’est pas la norme par rapport à ce qui est véhiculé aujourd’hui à travers les médias, la mode ou les films, la sexualité est omniprésente. Si tu es une minorité là au milieu, tu intrigues. Toutes ces conversations m’ont amené à me remettre en question. Il m’est arrivé de me demander si ça valait vraiment la peine, si ça changeait quelque chose… J’ai toujours fini par retomber sur cette conclusion: «Oui, j’ai envie de le vivre.»

Noémie: Il est vrai aussi qu’il y a des gens très croyants qui ne sont pas favorables à la chasteté. Et clairement, dans la Bible, il n’y a pas de verset qui dise «pas de sexe avant le mariage». Ce sont en fait plusieurs passages qui tendent vers ce message…

Julien: Comme souvent, cela se joue entre ce qui est écrit et l’interprétation qu’en ont les gens. Dans chaque communauté, tu établis un standard. Dans notre Eglise, on prône plutôt de ne pas avoir de rapports sexuels avant le mariage, mais c’est une valeur qu’on transmet, pas une condition.

Noémie: Absolument, on n’imaginerait pas, au sein de notre communauté religieuse, rejeter qui que ce soit à cause de sa sexualité. La chasteté doit être vraiment plus difficile à vivre si ce n’est pas ton propre choix, si tu le fais pour l’Eglise ou pour faire plaisir à quelqu’un. On n’a pas à porter de jugement sur les choix ou les parcours des autres.

Julien: J’ai entendu des histoires de toutes sortes, dont celles de gens qui ont bien essayé, mais n’ont pas réussi à rester chastes jusqu’au bout. Ça ne change rien au fait qu’aujourd’hui ils sont mariés et heureux. Tu as des valeurs, tu as ton envie, tu n’as peut-être pas réussi, mais tu gardes cette vision-là. Il y a tellement de paramètres. Tellement de questions à se poser pour bien le vivre. Comment tu te sens, est-ce que ce sont tes propres convictions qui te poussent, ou bien des convictions qu’on t’a transmises, voire imposées, mais que tu ne t’es pas appropriées?

Noémie: Il faut savoir pourquoi on le fait. Moi, je ne regrette pas une seconde. Je trouve qu’attendre le mariage pour avoir un rapport sexuel change complètement la donne. On a été deux ans et demi ensemble avant de se marier, et c’est différent d’évoluer en essayant d’apprendre à connaître l’autre sans attente sexuelle…

Lire aussi : Discours sexuel partout, pratiques sexuelles nulle part

Julien: Ce qu’à titre personnel, je trouve cool, c’est surtout de découvrir comment la sexualité se passe avec la personne avec laquelle tu as choisi de rester quoi qu’il arrive. Tu peux le voir dans des films, etc., mais de le vivre, vraiment, c’est beau. Il y en a qui diront qu’ils ont envie d’essayer avec plein de gens… A l’heure où tout le monde est sur Tinder ou d’autres applications de rencontres, l’idée me plaît de ne pas chercher à comparer, de ne pas courir après la meilleure personne ou le meilleur contexte pour une «première fois».

Noémie: Par contre, il faut briser le mythe selon lequel «parce que tu attends, ce sera incroyable»: c’est une image, un cliché que certains chrétiens véhiculent. C’est faux.

Julien: Quand on s’est réveillés le matin après notre première fois, on était heureux ensemble, tout simplement. Pour ma part, j’étais fier d’avoir tenu jusque-là.

Noémie : On se sentait juste bien dans les bras l’un de l’autre. Au-delà de la tendresse, ce moment a confirmé que faire l’amour, c’est cool, mais que ce n’est pas central dans notre couple.

Julien: Oui, c’est une facette de notre relation mais elle ne fait pas tout .  Finalement, je dirais que l’enjeu n’est peut-être pas l’acte sexuel, mais comment tu considères l’autre. Je m’en suis rendu compte, aussi, en entamant les procédures pour le mariage. S’impliquer, aller devant des officiels, changer de nom. C’est une échéance impressionnante. Si je suis prêt à faire tout ça pour m’engager pour l’autre personne, ce n’est pas juste que je veux partager du sexe avec elle. C’est tout le reste aussi. Un autre aspect important pour nous, d’ailleurs, c’était d’avoir ce cadre du mariage à partir du moment où avoir un enfant entrait dans le champ des possibles. Dès le moment où tu as des relations sexuelles, il existe des moyens contraceptifs mais le risque d’une grossesse est toujours présent. Attendre de se marier pour avoir une vie sexuelle, c’est aussi éviter des situations compliquées de ce point de vue là. On était très conscients du fait qu’on pouvait avoir un bébé dès lors qu’on consommait notre union, et qu’on ne le refuserait pas s’il arrivait.

Noémie: Attention, je ne suis pas contre l’avortement. Je pense que, dans certaines circonstances, il peut se justifier. Mais on avait envie d’avoir des enfants en étant mariés , parce qu’on pensait que c’était mieux pour eux. On vit dans une société qui favorise les naissances dans le cadre familial, au niveau du nom, des assurances, des droits, etc. Finalement, d’un point de vue pragmatique, ne pas avoir de relation sexuelle avant le mariage garantit aussi cette sécurité. Mais au final, pour nous, la chasteté c’était surtout: apprendre à se connaître différemment et inclure Dieu dans chaque recoin. C’était notre choix, il n’engage que nous.

L’église ICF (International Christian Fellowship – qui, sans y être attachée, prône une doctrine semblable à celle de l’Eglise évangélique), dont Noémie et Julien font partie, prône la chasteté en tant «qu’art de gérer ses désirs sexuels», et s’abstenir de tout acte sexuel avant le mariage en constitue une dimension. Cette conception permet de rappeler que la chasteté, souvent pensée comme règle morale, a plus à voir avec une forme de vertu qui pourrait s’appliquer en dehors du cadre religieux. Une vertu exprimée en ces termes par Xavier Thévenot, grande figure de la théologie morale: «Une disposition intérieure qui conduit une personne à réguler sa sexualité de façon libérante pour soi et pour les autres.»  Enzo Bianchi, fondateur de la communauté monastique de Boze et sollicité par le site d’actualités spirituelles Aleteia, conclut à ce sujet que la chasteté consisterait à «ne jamais traiter l’autre comme un objet».

Dans le prochain épisode: Comment vivre un amour… depuis la prison