Depuis leur rencontre il y a vingt-huit ans, L/B (c’est ainsi qu’ils signent) travaillent et vivent ensemble. A Burgdorf, où ils habitent, leur gigantesque atelier leur sert aussi de maison, une porte vitrée séparant l’espace du boulot de celui du repos. «La vie, le travail, chez nous, tout est lié, reprend Daniel Baumann. Burgdorf, c’est à la fois la ville et la campagne. Tout est proche: les commerces mais aussi certaines entreprises avec qui nous travaillons.»
Bar suspendu
De Paris à Tokyo, de Kiev à Bienne, leurs installations artistiques souvent monumentales s’exposent partout. Leur credo? Prendre l’espace et l’architecture pour toile de fond et faire en sorte que les spectateurs reconsidèrent leurs repères. Leur style? Il est caméléon, change à chaque projet. Mais disons que l’utilisation de la couleur et de la géométrie est la constante d’une œuvre qui peut aussi bien investir un terrain de foot et la façade d’un théâtre que les murs d’une galerie.
Cet été, ils rouvriront à la Kunsthalle de Berne leur bar perché dans un arbre, à 40 mètres au-dessus de l’Aar. En juillet, ils participeront à Annecy Paysage en greffant sur la façade du Centre Bonlieu des sortes d’étriers géants gonflables. En ce moment, c’est aux Galeries Lafayette que les Bernois exposent dans la Galerie des Galeries, espace d’exposition situé en plein cœur du grand magasin parisien. «C’est un endroit très spécial avec un plan assez étrange. Vu sa situation, l’idée n’était pas d’ajouter encore d’autres produits à voir», explique Sabina Lang.
Intérieur vintage
L/B y ont donc construit Beautiful Tube #6, un tunnel en bois peint en noir. De l’extérieur, sa structure ressemble à une sculpture minimaliste de Tony Smith. De l’intérieur, le corridor absorbe le visiteur dans une sorte de psychédélisme claustrophobe. Très étroit, il est recouvert d’une moquette, dont le motif coloré dans un dégradé de gris avec du jaune et du magenta pour provoquer le contraste, représente un grand cercle décomposé. Pour un peu, on dirait une version pop d’une peinture orphiste de Robert Delaunay. «Le cercle fait référence à la coupole des Galeries Lafayette bien sûr. Mais il exprime aussi une dynamique, une effervescence un peu délirante, continue l’artiste. Ce que représente un endroit comme celui-ci où un monde fou achète, circule, vient parfois juste pour photographier le décor. Nous voulions proposer une expérience inverse avec ce tunnel assez bas dans lequel on ne peut entrer qu’une personne à la fois.»
Les couleurs qui claquent et des formes souvent fluides: il y a dans l’œuvre des Bernois quelque chose de l’esprit seventies qui plane. Tout comme dans leur mobilier. Les lampes, les fauteuils, les tables basses: chez eux tout est vintage. «Nous ne sommes pas collectionneurs. Ces meubles nous accompagnent depuis longtemps, explique Daniel Baumann. L’avantage de la campagne c’est encore de pouvoir en trouver pour presque rien.» Et aussi pas mal de petits objets qui viennent du Japon, où ils recevaient, l’année dernière, un Design Award pour leur installation murale sous un pont à l’occasion du Tokyo Art Flow.
Monochrome géant
Depuis un demi-an, ils occupent désormais le gigantesque local situé juste en dessous de chez eux. Un collectionneur avait eu l’ambition d’en faire une galerie. Le projet n’a jamais vraiment décollé. Les deux artistes ont récupéré ces lieux, où ils installeront bientôt leur parc de machines et où un studio tout aménagé offre déjà le logement à leurs assistants. Une porte ouvre sur le jardin. Là, un jacuzzi couleur cassis peut accueillir deux personnes maximum. «Au Japon, on adorait aller aux bains. Pendant des années, on a passé Noël aux thermes de Vals dans les Grisons. Mais depuis que le propriétaire a changé, c’est devenu moins sympa, regrette Sabina Lang. Comme on ne trouvait rien d’équivalent, on s’est fabriqué notre propre spa à partir d’un gros bac en métal que nous avons transformé. En hiver, c’est absolument fantastique.»
Retour à l’intérieur. Sur les murs, Lang et Baumann ont accroché les œuvres d’artistes dont ils se sentent proches. Une édition de miroirs de John Armleder reflète un côté du lit, tandis qu’un long monochrome jaune d’Olivier Mosset s’étire sur une paroi de l’atelier. «Il est tellement grand que c’est le seul endroit qu’on a trouvé pour l’exposer. Olivier nous avait invités à participer à l’une de ses expositions. A la fin, on lui avait offert le concept de la peinture murale que nous avions réalisé. A son tour, il a tenu à nous faire un cadeau. On imaginait qu’il allait nous donner un petit tableau. Et puis un jour, on a vu débarquer un camion…»
Fan de foot
L’œuvre fait le pendant à l’une des peintures du couple: une plaque de métal courbé recouverte d’un enduit métallisé qui change de couleur selon l’angle de vue. Mais chez L/B, on trouve aussi des bibliothèques remplies de livres, des images qui les inspirent – «davantage que l’art, c’est l’architecture qui nous influence, celle d’Oscar Niemeyer notamment» – et des écharpes de supporters. Daniel Baumann l’admet: il aime le football. Hier, il se trouvait à Barcelone pour assister au match du Barça contre Manchester United. Il en parle avec des étoiles dans les yeux. «C’est spectaculaire, c’est le plus grand stade d’Europe. L’atmosphère est d’enfer», raconte l’artiste, qui a ramené des drapeaux de l’équipe catalane. Parce qu’il est fan. Mais aussi parce que graphiquement il est composé de lignes horizontales, bleue, jaune et rouge. Comme un tableau abstrait.
«Beautiful Tube #6», Galerie des Galeries, Galeries Lafayette, Paris, jusqu’au 9 juin.