Fini le schéma «un appart' pour chaque famille nucléaire». Du 23 au 27 juillet, «Le Temps» explore les nouvelles manières de vivre sous un même toit.

C’est une grande villa de 1910, encerclée d’un jardin. Depuis ce petit havre de verdure perché sur le Züriberg, on aperçoit le lac de Zurich et les toits de la vieille ville, à seulement quelques arrêts de tram de la Hauptbahnhof. Huit adultes entre 28 et 43 ans se partagent la maison. Un neuvième colocataire est arrivé il y a six mois: Gian, né en février 2018.

Il y a en tout dix chambres – dont deux restent libres pour les amis de passage –, une cuisine, un salon, deux salles de bains et un potager. Une fois par an, à la fin de l’été, ils installent un bar dans la maison du gardien, au fond du jardin, et organisent une grande fête costumée. «C’est un endroit spécial. J’aurais eu de la peine à le quitter», souligne Michele, graphiste indépendant et père de Gian, qui vit dans la villa depuis quatre ans.

Lorsqu’ils apprennent qu’ils deviendront parents, il envisage d’emménager dans le petit appartement de sa compagne Dominique au centre-ville. Mais le couple redoute de se retrouver à l’étroit. Chercher un nouveau toit? Avec la pénurie de logements bon marché, c’est le parcours du combattant.

A la même période, une chambre se libère dans la maison. Avec l’accord général, Dominique rejoint son compagnon. Des questionnements du départ à l’excitation à la veille de l’accouchement, ils racontent, attablés sous la pergola autour d’un plat de pâtes, l’arrivée du nouveau-né. «Au départ, j’étais sceptique, se souvient Mélanie, 31 ans, juriste. J’avais peur de ne plus me sentir chez moi. Mais depuis que Gian est là, je n’imagine plus la maison sans lui.» «Il amène un vent frais. C’est rare de pouvoir partager cette expérience de si près. Nous, les femmes, on devenait de plus en plus nerveuses à mesure qu’approchait le terme. On se mettait à nettoyer la maison de fond en comble», raconte Natalie, 28 ans. «Moi aussi, j’étais nerveux!» réplique Marius.

Pas seulement un logement

Le couple occupe deux chambres, dont une transformée en bureau, et partage une salle de bains à l’étage. Michele travaille dans une agence six jours par mois et consacre environ 40% de son temps à ses mandats d’indépendant. Le reste du temps, il s’occupe de son enfant. Après son congé maternité, Dominique a repris son travail à 60%. Elle travaille au bureau durant deux jours et s’aménage une journée de home office.

Pour eux, la colocation n’est pas seulement un logement, mais un mode de vie. Elle permet de partager plus d’espace et d’être moins isolés. «On nous demande souvent si nous ne manquons pas d’intimité. Mais la maison est si grande, il y a toujours un coin où se retirer en cas de besoin», souligne Dominique. La jeune femme a travaillé dans la communication pour le secteur bancaire, avant d’intégrer le think tank W.I.R.E., qui détecte les nouvelles tendances dans l’économie, la science et la société. Elle est convaincue que l’habitat du futur sera partagé.

Venu des Grisons

«Dans un appartement anonyme en ville, je me sens encapsulé. J’avais peur que cela ne s’accentue encore avec l’arrivée du bébé», renchérit Michele. Le jeune père, qui a grandi à Poschiavo, une région plutôt conservatrice des Grisons, ne croit pas au modèle classique de la famille nucléaire avec papa, maman et les enfants. «Si nous vivions à trois, notre attention serait accaparée par le bébé. Nous aurions moins d’air qu’ici.»

Les jeunes parents s’estiment chanceux: Gian pleure peu, dort beaucoup, rigole souvent. Il y a bien eu quelques nuits difficiles au début pour Natalie, qui dort dans la chambre voisine. «Mais les pleurs du bébé me dérangent moins qu’une porte qui claque la nuit», dit-elle. Les colocataires jouent parfois avec Gian un moment, spontanément. Mais pas question de collectiviser l’éducation du bébé. «Nous ne sommes pas des hippies», rigole Michele. Ils pensent toutefois que la vie en colocation rend leur fils plus ouvert et sociable.

Elle présente d’autres avantages: le partage des tâches ménagères ne se fait pas à deux, mais à huit. Pour éviter les tensions autour des cheveux dans le lavabo ou des moisissures dans le frigo, ils font appel à une femme de ménage quatre fois par mois. Et, chaque semaine, un des habitants se charge de trois repas du soir. Chacun débourse entre 650 et 1150 francs par mois pour le loyer, y compris ménage, internet et abonnements à deux journaux, plus 200 francs pour les courses communes.

Nouvelles architectures

A Zurich, de nouveaux espaces de vie ont émergé, conçus pour s’adapter aux changements de modèles familiaux. Comme dans la coopérative d’habitation Kraftwerk, dans le quartier de Züri-West, qui compte de grands espaces dédiés à la colocation, dont plusieurs avec enfants. Shanta, 19 ans, a grandi avec les lieux, construits au début des années 2000. Elle avait 2 ans lorsque ses parents ont emménagé dans l’immeuble et n’a connu presque que la colocation. Entre l’âge de 7 et 12 ans, ses parents changent d’étage pour prendre un petit appartement. Une parenthèse d’entre-soi familial bienvenue au début de la puberté. Mais qui n’aura pas duré. La jeune fille n’hésite pas lorsque ses parents lui proposent de revenir à leur ancien appartement partagé. Ils habitent trois chambres dans un espace de 320 mètres carrés, avec huit autres colocataires entre 10 et 56 ans. Comme une «famille étendue», dit-elle.