«Salut! Vous écoutez la saison 2 de Coming Out, un podcast original de Spotify.» Si l’altérité nous était contée au creux de l’oreille, dans tous les détails de sa vulnérabilité et de ses failles, ferait-elle moins peur? C’est ce que semblent croire plusieurs plateformes de podcasts natifs et studios généralistes, qui, ces derniers mois, ont multiplié les séries audio sensibles et complexes, baignant la communauté LGBTQIA+ d’une lumière nouvelle: celle de l’intime existentiel et universel, loin des clichés victimaires ou pathologisants qui ont longtemps prévalu au sein de médias traditionnels. A la fois miroir et chambre d’écho d’enjeux sociétaux actuels, cette nouvelle scène médiatique porte en elle un pouvoir non négligeable à la veille de la votation suisse sur le «mariage pour tous», tout comme des limites inhérentes à sa démarche.

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Premier constat: leur floraison ces dernières années, qui s’est encore accélérée ces derniers mois. Lisa Omara, fondatrice de l’agence de communication Pyar spécialisée dans les relations publiques presse et podcasts, le confirme: «Dans la francophonie, qui suit un modèle anglo-saxon, il y a une réelle explosion de ces contenus. Les volumes d’écoute montrent que la demande est là. Le plus connu aujourd’hui est certainement Coming out, pour moi un modèle du phénomène actuel, un des premiers podcasts originaux de Spotify, qui propose à des célébrités comme Xavier Dolan ou Pomme de raconter l’acceptation par elles-mêmes et par leurs familles de leur orientation sexuelle. Il y a aussi Camille sur Binge Audio, Quouïr chez Nouvelles Ecoutes, Intérieur Queer chez France Inter… Il y a deux jours, Spotify a encore annoncé la création d’une série audio et vidéo qui met en avant La Fabuleuse, un groupe d’influenceurs gays et trans dont fait partie Billal Hassani (plus d’un demi-million de followers sur Instagram, ndlr). Ce que cela démontre, c’est que l’envie d’écouter leurs histoires est réelle de la part de toute une génération curieuse d’être exposée à différentes réalités.» Plus près de nous en Suisse romande: les podcasts Récit(f)s d’hippocampes ou The Stories of Us*, pour ne citer qu’eux, les suivent et leur ressemblent.

Rendre audible… voire lisible

Adapté cette semaine en un roman graphique très attendu, le documentaire sonore devenu culte Coming In, d’ARTE Radio, sur la découverte par une jeune femme de son homosexualité, a probablement ouvert la voie à bon nombre d’initiatives du genre. Sorti en 2017, il est l’un des premiers à avoir sondé, à la première personne, les doutes d’une femme lesbienne, sujet très rarement audible dans les médias traditionnels, selon sa créatrice, Elodie Font.

«La presse communautaire était largement masculine – on peut penser à Têtu, Garçon, Yagg. Il n’est pas anodin de voir que sur la scène du podcast aujourd’hui, ce sont surtout des femmes qui prennent la parole et tendent leur micro pour tenter de contrer cette invisibilité.»

Sortir de la «contre-culture» pour faire advenir la nouvelle culture

Comment l’expliquer? «Ces documentaires et séries audio arrivent à un moment où, d’une part, la presse imprimée et les médias classiques sont confrontés à une perte d’audience et, d’autre part, les technologies permettent à des individus de produire et de diffuser très facilement du contenu. Il suffit d’un ordinateur, d’un logiciel de montage et d’une connexion pour créer un podcast», estime Antoine Idier, auteur du livre Archives des mouvements LGBT+. Une histoire de luttes de 1890 à nos jours. «Sur la forme, cette révolution sonore est comparable à celle de la vidéo Super 8 dans les années 1970, largement utilisée par les mouvements LGBT et féministes, ou encore à la multiplication des périodiques imprimés, parfois éphémères, dans les années 1970-1980. Il devient possible à des individus ou à des groupes de prendre la parole à la première personne, de livrer des vécus très différents qui ne sont pas pris en charge par les médias dominants.»

Cette vision est corroborée par Sébastien Chauvin, professeur à l’Unil et expert en étude genre, à laquelle il ajoute le fait que ces podcasts «ne se limitent plus à faire vivre une «contre culture» mais portent en eux une aspiration universelle, celle d’incarner la culture majoritaire de demain, ce qui est notamment perceptible dans leur dimension pédagogique. Une révolution n’est effective que si elle révolutionne la perspective de la majorité, et ce qu’il se passe en ce moment sur le front des podcasts est clairement un pas dans cette direction.»

Des contenus subjectifs et «utiles»

Thierry Delessert, spécialiste de l’histoire de la sexualité en Suisse à l’Unil et à l’Unige, est attentif au phénomène. «En matière de médias LGBT, la Suisse a été leader très tôt avec des revues communautaires. On avait dès les années 1940 Der Kreis («Le Cercle») à Zurich, puis Dialogai, ou encore 360°: leur mission était de légitimer l’existence de ces communautés, de faire aussi de la prévention au moment du sida dans les années 1980, etc. Mais ce qu’on observe ces dernières décennies en parallèle de la déstigmatisation des LGBT grâce aux médias grand public est une d’une part une dématérialisation croissante de la presse communautaire, qui se transforme en des newsletters plus pointues, et d’autre part l’émergence d’une nouvelle génération de journalistes qui veulent faire entendre d’autres points de vue dans un souci d’accompagnement de ce changement sociétal et politique. En l’accompagnant, ils y participent.»

Ainsi, Elise Goldfarb et Julia Layani, créatrices de la série audio Coming Out, invitent-elles à se servir de leur travail comme support de dialogue. «On a créé un format qui se veut utile, à la fois pour tous ceux qui n’ont pas accès à ces exemples dans leur entourage, mais aussi pour tous les autres, ceux qui comprennent, et ceux qui comprennent moins. N’hésitez pas à utiliser ces épisodes comme des outils en les envoyant à vos proches pour qu’ils comprennent ce qui se passe dans la tête de quelqu’un qui doit encore se justifier d’aimer, ou d’être», expliquent-elles en introduction de chaque épisode. Leur espoir? «Qu’un jour, ce podcast n’ait plus besoin d’exister.»

«J’ai un ami gay»

En Suisse romande, en cette année de votation sur le «mariage pour tous», l’association Be You Network a lancé de son côté The Stories of Us*, un podcast qui tend son micro à des Romands LGBTQIA+ et leur laisse raconter leur parcours. Anna Bouchier, sa créatrice, estime que le podcast offre, sur le fond et la forme, une opportunité inouïe: «C’est le média de l’histoire racontée, de l’empathie, il permet un ton intimiste et évite, contrairement à la vidéo, de projeter un jugement sur l’image de quelqu’un.»

Le succès des uns fait le lancement des autres. «On écoutait les podcasts queers anglo-saxons et français et on avait envie de faire la même chose en Suisse romande, en nous demandant comment, localement, les gens vivaient leur homosexualité. Il était crucial de nous adresser à tous les Suisses et pas qu’aux personnes concernées, parce qu’on comprend en écoutant ces histoires que derrière ces débats politiques sur le mariage ou la PMA il y a des vies, de «vraies gens». Quand on connaît une personne gay ou lesbienne personnellement, qu’on a écouté son cheminement, on ne porte plus le même regard sur ces débats de société. Il fallait permettre aux Suisses d’écouter ces histoires qui sont peut-être celles de leur voisin, leur collègue, et les amener à y penser en dehors de leurs certitudes.»

Les hétéros qui les écoutent, qu’y trouvent-ils? A entendre les réactions reçues par les podcasteurs, des réponses pour un proche, des pistes de dialogue, ou juste une confrontation à une réalité qu’ils ne connaissent pas.

Culture de l’écoute VS culture du clash

Difficile d’en mesurer l’impact réel sur l’opinion publique au-delà du nombre d’écoutes cumulées pour chacune de ces émissions. La démarche même du podcast natif, que l’auditeur doit aller chercher activement, ne pousse-t-elle pas à une polarisation des visions? L’une urbaine, jeune, éduquée, progressiste – démographie traditionnelle des auditeurs de podcasts selon les études de marché, l’autre conservatrice voire, par effet de miroir, réactionnaire? Pas grand-chose à craindre de ce côté-là pour Elodie Font. «Ce qui est fascinant, c’est surtout de voir qu’une fois qu’un podcast existe et trouve une large audience, comme ce fut le cas pour le mien, les médias traditionnels ne peuvent plus l’ignorer. Ils font remonter ce phénomène parce que soudainement c’est indéniable: il est notable.»

Les voix «disruptives» sont précisément le sujet d’étude de Thomas Muzart, post-doctorant à l’Université américaine de Duke et coauteur de l’article académique à paraître «Podcasting disruptive voices». «De mon point de vue, le danger de la polarisation ne vient, à l’heure actuelle, pas du podcast qui fait entendre des voix et expériences variées, mais plutôt de la culture des confrontations de points de vue binaires, notamment sur les plateaux de télévision. Les podcasts tels que pensés par les plateformes généralistes se veulent au contraire des outils démocratiques de vivre-ensemble, dans un processus d’inclusion et de diversité. Ce n’est pas l’écoute qui est dangereuse, ce sont les caricatures et la culture du clash.»

Pour Rozenn Le Carboulec, créatrice du podcast Quouïr dont la troisième saison suivra en octobre un jeune homme gay dont les parents ont participé aux rassemblements homophobes de La Manif pour tous, «le podcast a le mérite d’être, très souvent, gratuit, et accessible à tous, discrètement. Il fonctionne beaucoup par partage et bouche-à-oreille et par ce biais-là, on peut toucher beaucoup de monde, notamment des jeunes dont le milieu familial ou social invite peu à l’introspection.» «Bien sûr, nuance-t-elle, on n’aura jamais l’impact d’une chaîne de télé à une heure de grande écoute, mais le fait même que je reçoive des réactions de parents par exemple, qui me disent que leur enfant est homosexuel et que mon podcast les a aidés à réagir au mieux pour lui ou elle, est déjà une victoire. Le débat sociétal passe aussi par cela, une histoire à la fois.»