L’objectif du projet «Hyperlien» est de mieux comprendre vos attentes et présenter le métier de journaliste pour plus de transparence.

Le nouveau coronavirus représente une menace impalpable que les journaux doivent pourtant disséquer et raconter aux lecteurs. D’abord, il y a les statistiques. Chaque jour, l’évolution de la crise se présente sous la forme de courbes ascendantes. Une réalité mathématique implacable présentée sur notre site. Ensuite, il y a la parole des scientifiques et le discours des autorités pour faire comprendre les enjeux et inciter la population à rester à la maison. Autant d’interventions à contextualiser et analyser.

Une autre dimension du journalisme tente de garder une place majeure: le reportage. Ce travail au ras du terrain permet de mettre des mots et des émotions sur une crise sanitaire aux conséquences dramatiques. Montrer la crise telle qu’elle est, au-delà des communiqués de presse, s’avère crucial pour freiner la propagation de fausses nouvelles sur la situation.

Principe de précaution

Cette mission se révèle particulièrement délicate. Sortir pour converser avec des témoins de la crise revient à déroger aux règles du confinement alors que la rédaction du Temps entame sa quatrième semaine de travail à distance. Ce journal fait maison a suscité quelques questions et frustrations. Comment rendre compte de la réalité depuis le confort de son salon? N’envoie-t-on pas des journalistes couvrir des conflits armés? Après discussion, la rédaction en chef a rapidement communiqué des règles pour les reportages, toutes régies par un principe commun: la prudence. «La situation risque de durer et à la nécessité de fournir des infos de qualité – textes, photos, vidéos et peut-être podcasts – s’ajoute celle de nous assurer que toute l’équipe reste en bonne santé, ainsi que nos familles», prévient le courriel daté du 19 mars.

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Chaque proposition doit obtenir l’aval du ou de la cheffe info, responsable hebdomadaire de l’édition. Pour être validé, le sujet doit apporter «une forte plus-value sans risque excessif». Les règles d’hygiène et de distanciation sociale doivent s’appliquer. «Il existe un risque pour la santé des proches du journaliste mais aussi pour celle de nos interlocuteurs. Les journalistes peuvent être la source du danger et devenir de super-propagateurs», souligne Gaël Hurlimann, rédacteur en chef du numérique. Le principe de précaution est d’autant plus grand que l’entreprise ne peut fournir de protections, comme des gants ou des masques, en raison de la pénurie.

Volontariat

Notre journaliste Chams Iaz a justement consacré un article aux passants couverts d’un masque, toujours plus nombreux. Mais où trouvent-ils cet accessoire? Pour répondre à cette question, elle s’est baladée dans les rues et commerces de Lausanne. «Je me suis portée volontaire. J’ai rencontré des gens qui étaient réticents à l’idée de me parler, qui se demandaient pourquoi je les alpaguais», raconte-t-elle.

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Cette petite exploration lui a permis de découvrir des histoires insoupçonnées derrière les masques. Comme ce monsieur qui en possédait à la suite d’une opération de la gorge. «Il est important de donner la parole aux gens concernés, aux plus fragiles. Certains avaient besoin de parler, de partager les aléas de leur quotidien.» S’est-elle sentie à l’aise à l’extérieur, au contact d’inconnus? «Je n’ai pas eu la sensation de me mettre en danger et faisais en sorte de respecter les distances de sécurité», précise-t-elle.

Symbole iconographique

Dans ce contexte inédit, les contenus journalistiques se fabriquent avec une dose d’imprévus et d’obstacles. «On doit assumer le fait de vivre une crise, de réaliser notre travail dans des circonstances spéciales, avance Gaël Hurlimann. Dans vingt ans, en regardant une photographie publiée dans Le Temps, on devra pouvoir se dire: «C’était ce fameux confinement.» Il prend l’exemple du quotidien Libération qui a exceptionnellement publié une capture d’écran de Skype pour illustrer un portrait du journaliste Arnauld Miguet, correspondant en Chine pour France Télévisions. Le journal doit refléter la dimension historique de l’actualité qui se déroule sous nos yeux. «Beaucoup de photographes documentent la période que l’on vit, confirme l’iconographe Anne Wyrsch. Les indépendants peuvent honorer les commandes, puisqu’ils privilégient les prises de vues en extérieur, en observant toutes les précautions de rigueur.»

Leur travail est complexe en raison des restrictions d’accès aux points névralgiques de la crise, comme les hôpitaux, ou l’arrêt de l’activité qui amoindrit la matière photographique. Qui photographier quand la population reste cloîtrée chez elle? Les agences de presse alimentent les rédactions en images de toutes sortes. Des contenus indispensables pour raconter l’évolution de l’épidémie en Suisse comme à l’étranger. «Le masque est devenu un emblème international, souligne Anne Wyrsch. C’est un symbole iconographique qui marquera l’époque.»