«Derborence, le mot chante doux; il vous chante doux et un peu triste dans la tête. Il commence assez dur et marqué, puis hésite et retombe, pendant qu’on se le chante encore, Derborence, et finit à vide, comme s’il voulait signifier par là la ruine, l’isolement, l’oubli», écrivait Charles Ferdinand Ramuz. Le roman raconte l’éboulement meurtrier de 1714. Frédéric Favre ne l’a pas lu. Il se rend souvent en famille sur ce site naturel protégé très fréquenté des randonneurs. En tenue décontractée, il marche sur un petit sentier bordé de connifères: «Je suis plus un sportif qu’un montagnard, j’aime me vider la tête et faire du bien à mon corps.»
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Vélo et ski-alpinisme
Pour rejoindre le cirque rocheux de Derborence, il faut emprunter une route étroite et sinueuse qui perce la montagne de nombreux tunnels. Parfois, Frédéric Favre parcourt ce chemin à vélo. Depuis le village de Vétroz, où il est domicilié, l’ascension lui prend près de deux heures. Quelques jours plus tôt, pendant l’orage du 1er août, des coulées de boue ont endommagé des véhicules et la route a été coupée pour plusieurs heures. En ce samedi matin caniculaire, il ne reste plus la moindre trace de ces intempéries: «Les cantonniers ont bien travaillé.» Du doigt, il montre le Mont Gond, qui culmine à 2700 mètres d’altitude et surplombe le site: «L’autre jour, je suis allé courir là-haut!»
Le soleil cogne de plus en plus fort. Dans une de ses multiples autres vies, Frédéric Favre a été cinq fois champion suisse de karaté: «J’ai toujours eu l’esprit de compétition.» Au début d’avril, quelques jours seulement après avoir été élu au gouvernement aux dépens d’Oskar Freysinger et de l’UDC, il participait aux Trophées du Muveran, une course de ski-alpinisme qui passe par les hauts de Derborence. Il sort son smartphone et ouvre l’application Garmin, qui mesure les distances parcourues et la fréquence cardiaque: «7 heures et 58 minutes.» Il sourit: «Je sortais d’un marathon et je n’étais pas prêt physiquement.» Finalement, pour une trentaine de kilomètres dont plus de 2000 mètres de dénivelé, «c’est pas si mal!».
Nous pouvons être les premiers à restaurer l’idéal olympique…
En devenant ministre des Sports, l’ancien karatéka a hérité de la candidature de Sion aux Jeux olympiques de 2026, et de ses délais très serrés. La veille, les entrepreneurs qui portent le projet lui ont remis une copie du dossier déposé auprès de l’administration fédérale. Lui reste prudent. Il a un mois pour prendre position: «Pour l’instant, nous analysons la possibilité d’organiser des Jeux, et rien de plus. Si nous pouvons être les premiers à restaurer l’idéal olympique en organisant une manifestation à taille humaine, je ne voudrais pas manquer cette occasion. Mais si nos conditions de coûts et de durabilité ne sont pas respectées, je n’exclus pas de m’opposer au projet.»
L’inconnu devenu populaire
La balade se termine sur la terrasse du refuge qui surplombe le lac. Frédéric Favre évoque sa nouvelle vie: «C’est passionnant, je saute d’un dossier à l’autre et j’ai déjà rencontré trois conseillers fédéraux.» La conversation s’interrompt plusieurs fois. D’abord, il y a le patron, qui tient à saluer le nouveau conseiller d’Etat. Il offre une planchette où se mélangent fromages et charcuteries: «Que des produits locaux!» Ensuite, il y a le conseiller national genevois Benoît Genecand. De passage, lui aussi PLR, il souhaite féliciter l’homme qui a battu Oskar Freysinger. Le Valaisan semble flatté: «Je me suis rendu compte tardivement que beaucoup de gens suivaient cette élection en Suisse.» Les deux politiciens commentent la succession de Didier Burkhalter: «Nous proposons de belles personnalités pour remplacer un grand homme d’Etat.»
Ma vie a beaucoup changé!
En janvier dernier, Frédéric Favre était encore un inconnu, membre des libéraux-radicaux depuis moins d’une année. Quand le parti a proposé sa candidature pour retrouver une place au gouvernement, un élu jugeait ce casting «digne d’une mauvaise série télévisée». Aujourd’hui, le jeune conseiller d’Etat semble plutôt populaire, malgré son inexpérience. En retard et pressé, il lui faut malgré tout de longues minutes pour quitter l’établissement en trouvant un petit mot pour chacun: «J’étais proche des gens avant la campagne et je ne veux pas les ignorer après avoir été élu.» Sur le chemin du retour, il conduit vite, sans prendre le temps d’admirer les falaises vertigineuses: «Ma vie a beaucoup changé!»
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Profil
1979 Naissance à Genève, où travaillent ses parents.
2005 Devient directeur des ressources humaines dans la grande distribution.
2013 S’inscrit au mouvement politique Avenir écologie.
2015 Obtient un Doctorate in Business Administration.
2017 Est élu au gouvernement valaisan.
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