Les Suisses n’ont que moyennement confiance dans la voiture électrique, vue comme une solution transitoire. Ils sont d’avis que d’autres technologies propres doivent être développées, en particulier l’hydrogène. Tel est le constat de l’un des points de l’étude Sophia 2018 commandée pour le récent Forum des 100 du Temps. Le sondage détaille le rapport des Suisses à la mobilité. Réalisé par M.I.S Trend, il s’appuie sur les réponses de 1400 Romands, Alémaniques et Tessinois, ainsi que près de 400 leaders d’opinion.

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Cette foi dans le carburant hydrogène est assez surprenante. Promue grâce à d’énormes moyens par l’industrie automobile, la mobilité 100% électrique est désormais vendue comme une finalité vertueuse, non comme une étape intermédiaire vers des véhicules sans carbone. Selon le sondage, les Suisses résistent à ce puissant effort de marketing, tablant sur des technologies selon eux plus prometteuses.

Le revers de la médaille

Exposée au Forum des 100 à l’Université de Lausanne, testée par des participants, la Honda Clarity Fuel Cell incarne ce futur propre, sans autre émanation que de la vapeur d’eau. La solution hydrogène serait idéale sans une série de sérieux handicaps. Le gaz est actuellement produit dans le monde à 90% à partir d’hydrocarbures ou de charbon, avec de fortes émanations de CO2 à la clé. Incolore et inodore, il est aussi instable. Il est extraordinairement cher à produire par rapport au gaz naturel. Le carburant manque enfin et surtout d’infrastructures d’approvisionnement pour que la mobilité H2 puisse s’élancer vers un avenir prometteur. En clair, il faut des réseaux de stations-services. Et des réseaux rentables.

Il n’existe en Suisse qu’une station-service publique qui propose de l’hydrogène, en Argovie

Les marques automobiles ont lancé des modèles à hydrogène sans attendre la mise en place de cette infrastructure, ce qui a confiné leurs ventes à quelques dizaines ou centaines d’unités. Il n’existe en Suisse qu’une station-service publique qui propose de l’hydrogène, en Argovie. Conscients de cette lacune, des pétroliers, constructeurs, partenaires publics ou privés ont décidé de passer la vitesse supérieure. En privilégiant d’abord les véhicules utilitaires. Une flotte d’une dizaine de camions peut rentabiliser une station à hydrogène, alors qu’il faudrait de 30 à 50 fois plus de voitures pour arriver au même résultat.

Nouvelle association suisse

Les annonces se sont multipliées ces derniers jours. Le 17 mai, Coop, Migros, Avia et Agrola annonçaient la création d’une nouvelle association de promotion de l’hydrogène. Elle entend créer un réseau national de stations-services d’ici à 2023. Le but est que les camions de Coop ou de Migros bénéficient en priorité de cette infrastructure, mais aussi des voitures particulières: «Les poids lourds à hydrogène ont besoin d’une pression de 350 bars, mais les pompes seront également équipées en 700 bars pour les automobiles», note Jörg Ackermann, président de la nouvelle association et membre du management de Coop.

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Quels camions? Coop fait rouler un 35 tonnes à hydrogène depuis une année. Il est unique au monde, mais le poids lourd a nécessité de coûteuses transformations aux Pays-Bas et en Suisse. Il tire parti d’un hydrogène vert, produit par électrolyse grâce à la force hydraulique en Argovie. Pour l’heure, les grands constructeurs de camions (Mercedes, Volvo, Scania ou Man) privilégient toujours le diesel. Ils hésitent à se tourner vers l’hydrogène. «Ils sont toujours orientés vers le profit, les yeux rivés sur leurs chiffres de production, au lieu de donner du sens à leur activité, s’échauffe Jörg Ackermann. Mais la situation est en passe d’évoluer. Nous pourrions bientôt passer une première commande d’une dizaine de poids lourds auprès de l’une de ces grandes marques.»

La France met le turbo

Créer un réseau de stations pour les utilitaires qui sera ensuite utilisé par les voitures: c’est aussi le raisonnement en France. Le 30 mai, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a annoncé que le gouvernement consacrera 100 millions d’euros au déploiement d’une centaine de stations à hydrogène d’ici à 2023. Le plan prévoit aussi un soutien à la mise en place d’électrolyseurs qui séparent l’eau en molécules d’hydrogène et d’oxygène, ainsi qu’au déploiement de flottes de bus et poids lourds. La France veut rattraper son retard sur l’Allemagne, la Norvège, la Californie ou le Japon, très actifs dans la promotion du carburant. Et même, cocorico, s’imposer comme «un leader mondial de l’hydrogène».

Lors des Jeux olympiques d’été à Tokyo en 2020, où la mobilité sera assurée avec des véhicules à hydrogène

Au Japon, justement, un consortium de constructeurs, pétroliers et investisseurs a été créé au mois de mars pour accélérer la construction de stations-services à hydrogène. Il en existe déjà une centaine dans l’archipel, mais l’objectif est d’en ouvrir 80 supplémentaires d’ici à 2022. Le premier ministre, Shinzo Abe, redouble d’efforts pour transformer le Japon en «société de l’hydrogène», à même d’assurer l’indépendance énergétique du pays après le traumatisme de Fukushima. Le gaz peut aussi être mis à profit pour produire de la chaleur ou stocker l’énergie solaire et éolienne.

Le pari du Japon

Il y a un intérêt stratégique au choix de l’hydrogène par le Japon. Ses industries maîtrisent la construction complexe des piles à combustible qui fournissent de l’électricité aux véhicules ou aux bâtiments. C’est beaucoup moins le cas chez le concurrent chinois, focalisé sur la production en masse de batteries lithium-ion, le cœur énergétique des voitures électriques. La Chine veut devenir le numéro un mondial de ce type de véhicules, alors que Toyota ou Honda ont pris du retard dans la course au véhicule 100% électrique.

Le Japon prend ainsi le risque de l’hydrogène. Le pays veut prouver au reste du monde la pertinence de son pari. En particulier lors des Jeux olympiques d’été à Tokyo en 2020, où la mobilité sera assurée avec des véhicules à hydrogène. Reste à voir si le gaz proviendra de mines de charbon en Australie ou d’électrolyses réalisées en Norvège: les deux pays sont actuellement en concurrence pour soutenir le plan japonais.