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Les coulisses du «hold-up du siècle»

Michel Ferrari était le cerveau du braquage de la succursale genevoise de l’UBS en mars 1990. Trahi par ses complices, il n’a pas touché le moindre centime des 31 millions de francs disparus. Dans un livre, il raconte les détails du braquage et sa reconversion après la prison. Rencontre

«On me dit: arrête tes conneries, Michel, t’as bien un magot planqué quelque part… Mais non. J’aimerais bien…» — © Genève, 1er mai 2014/veroniquebotteron.com
«On me dit: arrête tes conneries, Michel, t’as bien un magot planqué quelque part… Mais non. J’aimerais bien…» — © Genève, 1er mai 2014/veroniquebotteron.com

Même si la fine pluie froide a repris, il sort de vieux portraits de son blazer. «Voyez, lui, il me doit 15 millions. Lui, il m’a vendu pour la prime de l’UBS. Celui-là, il s’est fait tirer dessus à la kalash’ quelques années plus tard…»

Il y a 24 ans, le dimanche 25 mars 1990 à l’aube, un groupe d’hommes armés braque l’une des principales succursales genevoises de ce qu’on appelait alors l’Union de Banques Suisses. Magot: plus de 30 millions de francs, jamais retrouvés. Michel Ferrari, le cerveau du casse aujourd’hui sorti de prison, publie un livre qui en décrit les moindres détails*. Il veut raconter «sa version».

«L’entrée de la banque était juste ici, derrière», explique Michel Ferrari en déambulant sur la place de la Fusterie, au cœur de Genève. Arrivé au milieu du passage des Lions, il montre une paroi couverte de planches. «Mais je ne sais pas ce qu’ils en ont fait; aujourd’hui, tout est en travaux.» Il sort d’autres photos de sa poche, prises par la police le matin du braquage. Dans la salle des coffres, on voit des liasses de billets qui traînent par terre. «Ils n’ont même pas tout pris, ces toquards! Je leur ai donné les codes, les clés, je leur ai tout filé, et ils n’ont même pas été capables de faire le boulot convenablement!» peste Michel Ferrari.

Il parle vite, mange parfois des mots. Derrière ce débit rapide, presque trop pressé, on sent une rancune, une colère contenue. Et pour cause, le gang de Corses qu’il avait engagé pour aller effectuer le braquage n’a pas rempli sa part du contrat jusqu’au bout: après le casse, les truands français se sont fait la belle avec avec le butin. Par la suite, le Genevois et ses complices seront dénoncés pour toucher la prime promise par l’UBS.

Michel Ferrari se retourne vers ce qui fut l’entrée de la banque. Même couverte de planches, il peut la décrire par cœur. «Ici, à gauche, il y avait la salle avec les gardes. Ensuite, à droite, on devait traverser un couloir et on arrivait directement vers les coffres…» Coup de chance: ce fameux 25 mars, ces derniers étaient justement pleins à craquer, débordant de devises étrangères. Un arrivage spécial du Maroc le vendredi précédent avait fait doubler la mise habituelle. Le complice à l’intérieur de la banque avait pu le vérifier: il y avait au moins 30 millions de francs suisses. A peu près 220 kilos de billets…

L’organisation du casse avait pris plusieurs mois. Grâce à son acolyte, Michel Ferrari avait mis la main sur les codes et les manipulations exactes nécessaires pour ouvrir les coffres. Tout était prévu, jusque dans les moindres détails. Sauf le retournement des Corses. «C’est le scénario du pire qui s’est passé», reconnaît Michel Ferrari. Malgré la trahison, il ne sera arrêté que deux mois après le casse. Sans savoir que la police le pistait depuis les premiers jours pour tenter de remonter jusqu’aux Français. Pistolet au poing, il essaie de retrouver son argent. Mais «à un certain point c’est devenu trop dangereux», raconte-t-il dans le livre. La police l’intercepte. Il passera les cinq années suivantes en prison. Les Corses, d’abord introuvables, virent les poursuites contre eux classées par la justice française une dizaine d’années plus tard. L’argent n’a jamais réapparu.

Alors, forcément, la question brûle les lèvres. Et l’ancien braqueur rigole: «On me dit souvent: arrête tes conneries, Michel, t’as bien un magot planqué quelque part… Mais non. J’aimerais bien…» En particulier les fins de mois, quand «il manque un peu». On lui propose parfois des coups. «Un ami travaille comme convoyeur de fonds et se vantait un jour de transporter 100 millions de francs. Je l’ai regardé droit dans les yeux et lui ai dit: «File-moi les clés!» Michel Ferrari a un sourire en coin. L’ami a préféré décliner.

La pluie s’est arrêtée. C’est l’heure d’aller manger. Il tourne le dos à la banque et traverse le Rhône en racontant son passé. Né de parents italiens en 1950, il a grandi à Annemasse. Il sera d’abord vitrier. Puis, livreur chez un boucher. Ensuite, dessinateur technique. Et même entraîneur sportif pour son fils, champion junior de tennis qui joue alors parfois contre un certain Roger Federer.

A l’époque, sa femme, pour qui il est venu en Suisse et avec qui il se marie en 1974, travaille à l’UBS. C’est par cet intermédiaire qu’il se transforme en «porteur de mallettes». «Après l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, au début des années 1980, les riches Français sont venus chercher refuge en Suisse. J’ai transporté pour eux des sacs Coop pleins à craquer de billets.» Les yeux dans le vague, il se rappelle de tonnes d’argent en pépites et de quelques centaines de kilos d’or. «Je n’ai jamais rien piqué. Rien. Même les journaux que j’allais prendre dans la cassette au lendemain du braquage, je les payais…» «Le plus gros hold-up de l’histoire!» s’exclamait ainsi le Journal de Genève, un jour après le casse (voir archive en page 2).

Les commissions de ces transports d’argent (détaillés dans son livre) lui ont rapporté un joli pactole. De quoi rouler en Porsche, en Ferrari. «En fait, je n’avais pas vraiment besoin de fric, précise-t-il. Mais mon ami de la banque n’arrêtait pas de me parler de ce coup facile. Et une fois, je me suis dit – pourquoi pas?»

Avant d’entrer dans un restaurant, il jette un coup d’œil à une Bentley parquée sur le trottoir. «De toute façon, on ne peut pas devenir aussi riche sans escroquer quelqu’un», lâche-t-il.

Michel Ferrari s’installe et commande un carré d’agneau. Est-il fier d’être le cerveau du «hold-up du siècle»? Il hésite, réfléchit. «Je ne veux pas dire que je suis fier mais… je ne suis pas mécontent. On a tous envie de faire quelque chose qui sort de l’ordinaire, non? Moi je n’ai pas tué, je n’ai pas violé. Et l’UBS avait des assurances…» Même les cinq années passées dans les geôles suisses (Champ-Dollon, Bochuz…) ne lui ont pas fait changer d’avis. «C’était dur, au début. Mais j’ai appris des choses sur l’être humain là-dedans», note Michel Ferrari. Certains de ses amis les plus proches l’ont trahi. «Deux choses changent les hommes: l’argent et la prison.»

Une fois libéré, il cherche du travail. «J’avais livré du béton pendant huit mois, en semi-liberté. A ma sortie, je suis devenu le directeur d’une discothèque, Le Power, au passage Malbuisson.» La vie reprend quelque temps, mais un violent incendie ravage la boîte. De nouveau en recherche d’emploi, Michel Ferrari reprend la gérance d’un autre club, Le Rendez-Vous… qui fermera ses portes en 1998. Au fil des années, les gens qu’il croise savent qui il est, mais peu lui parlent de son hold-up. «La plupart trouvent ça sympa; je crois que j’ai quand même fait ce que des centaines de personnes ont toujours voulu faire…»

Par la suite, avec sa femme – depuis longtemps remerciée par la banque – il ouvrira deux vidéoclubs. «Mais ce n’est pas facile d’être tous les jours de l’année derrière une caisse, de 16h à 22h, pour ne gagner – les bons jours – que 700 francs…» Il se souvient en souriant des deux flics qui passaient leurs journées devant le magasin. «Pour me surveiller…» La période était toutefois «un peu rude». Dévorées par la concurrence d’Internet, les affaires périclitent. Il faudra fermer boutique. Et se reconvertir dans les ongleries. «C’était la mode il y a encore deux ans, j’avais sept magasins», soutient Michel Ferrari. Aujour- d’hui, plus que deux. «Faut que je me relance…»

Michel Ferrari mise donc sur son livre, écrit avec l’aide de deux journalistes. «Pas que je crois que je vais en vendre des milliers, hein…» mais l’idée est de le traduire en anglais, il s’est déjà renseigné sur les tarifs. «En prison, j’ai vu pas mal de films de braquages, je pense que des producteurs seraient intéressés par mon histoire. Comme j’ai tout perdu, ce serait quand même bien que je puisse en tirer quelque chose.» Sinon, tant pis. Cela lui permettra de toute façon de raconter sa version.

Quoi qu’il arrive, les royalties qu’il pourrait en tirer ne viendront pas garnir le compte qu’il a ouvert à la Raiffeisen. «Je ne l'utilise pas souvent. Je fais pas trop confiance aux banques, vous savez…»

* J’ai réussi le casse du siècle, Michel Ferrari. Sortie le 8 mai aux éditions l’Archipel