Psychologie
Les personnes infectées par le coronavirus et atteintes du Covid-19 nourrissent parfois un sentiment de gêne, voire de culpabilité vis-à-vis de leur entourage «sain». Pourtant, il n’y a ni honte à avoir, ni doute à maintenir

«Mon mari et moi avons des groupes WhatsApp familiaux: on a écrit un message sur ces canaux pour avertir nos proches du fait que j’étais malade du Covid-19. J’ai un autre groupe de copains et copines dans notre village, et je me suis demandé si je l’annonçais seulement à ceux avec qui je suis en contact régulier, ou aux autres aussi? J’avais peur que les gens me fuient, m’en veuillent», relate Amélia*, 39 ans, confinée au domicile familial depuis une semaine. Elle a finalement choisi d’en informer tout le monde pour éviter «les bruits qui courent», et l’annonce n’a pas suscité d’autre réaction que des manifestations de solidarité.
Comme elle, de nombreuses personnes atteintes du Covid-19 font part de leur gêne à révéler leur état, par crainte d’être stigmatisées ou de créer la panique. Comme si être malade s’apparentait à «être le virus». Le docteur en philosophie Fabrice Gzil en faisait le sujet d’une tribune publiée sur le site du journal La Croix: la métaphore guerrière filée depuis le début de l’épidémie pour parler du virus pourrait avoir comme effet, entre autres, de voir dans les malades l’incarnation de «l’ennemi à combattre».
«Cette rhétorique de la dramatisation peut être très anxiogène… Elle entre en contradiction avec le fait que 80% des personnes contaminées ne présenteront quasiment aucun symptôme», regrette Marie Santiago Delefosse, professeure ordinaire en psychologie de la santé à l’Unil et doyenne de la Faculté des sciences sociales et politiques.
On informe pour le bien de tous
Certains et certaines expérimentent – ou du moins ressentent – l’inconfort d’occuper cette posture de «cas», d’infecté, qui représente une menace pour autrui. Nathalie* a dû faire des pieds et des mains pour accéder à un test, alors qu’elle travaille avec des enfants souffrant de problèmes respiratoires. Le premier centre de dépistage qu’elle a contacté l’a priée, au vu de ses symptômes, de ne pas venir se faire tester car elle risquait d’infecter le personnel. «J’avais l’impression de ne pas être légitime à aller faire le test. Là, je me suis sentie un peu «pestiférée», on me laissait seule avec mon problème. J’ai eu l’impression de mieux comprendre certains discours de personnes atteintes de maladies transmissibles, ça doit être très dur à vivre.»
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Après bien des tergiversations, Nathalie parvient à se faire évaluer et le résultat est positif. Avant cela, elle n’avait pas souhaité alerter ses parents «qui ont 65 ans et sont assez stressés par cette histoire». Elle finit par leur annoncer la nouvelle, ainsi qu’à ses amis proches et ses collègues. Dans le cas d’Amélie, les coups de téléphone aux dernières personnes fréquentées se sont accompagnés d’un sentiment de culpabilité «très désagréable», notamment vis-à-vis d’une amie qui lui avait rendu visite avec son bébé et a ensuite développé des symptômes grippaux. Mais informer ses proches reste crucial.
«La honte n’est jamais bonne conseillère. Avait-on honte d’attraper une pneumonie avant le Covid-19? La seule manière de combattre ce sentiment, c’est de se dire que le confinement ou l’information autour de soi se fait dans le souci de protéger autrui. C’est pour le bien de tous», appuie Marie Santiago Delefosse, et de résumer: «Je dirais qu’il faut d’abord dédramatiser pour soi-même: ce n’est pas une maladie forcément grave. Ensuite, lorsque l’on est sûr d’être infecté, en parler aux proches qui peuvent vous soutenir et surtout aux personnes côtoyées récemment, tout en se montrant rassurant.»
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En écho à ce possible ressenti, le professeur de psychologie sociale Benoît Dompnier propose encore une piste de réflexion: «Un psychologue américain, Bernard Weiner, a montré que lorsqu’un stigmate social avait pour origine un comportement contrôlable, les conséquences étaient plus négatives que lorsque l’origine du stigmate était incontrôlable. Dans le cas du coronavirus, on peut peut-être appliquer la même lecture: la cause de la contamination est floue, il y a tellement de possibilités de l’attraper. On ne peut pas inférer de responsabilité et donc, être malade devrait susciter moins de colère ou de rejet que d’empathie.»
En parler au travail
Les collègues figurent peut-être parmi les dernières personnes fréquentées, posant ainsi la question de la parole au sein du milieu professionnel. «Il faut réfléchir à ses craintes personnelles: perdre son emploi, être étiqueté par les autres… Ces peurs, bien que légitimes, sont-elles rationnelles? Probablement pas, car l’affection est bénigne dans la grande majorité des cas. On peut ensuite les exprimer à ses collègues de confiance qui seront sans doute rassurants. Enfin, l’organisation doit avoir mis en place un cadre explicite qui dise bien qu’une proportion non négligeable des effectifs sera probablement touchée, et qu’aucune stigmatisation ne sera tolérée», développe Anny Wahlen, psychologue à la tête de Salutis Network, une entreprise de conseil et d’accompagnement de la santé au travail.
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En réalité, «personne n’est obligé de communiquer son diagnostic à son employeur ou à ses collègues», précise-t-elle. Mais, pour le cas où les symptômes empêcheraient le ou la malade de travailler, le supérieur direct demeure la référence pour ce qui touche à l’organisationnel, et les ressources humaines doivent être averties. Anny Wahlen rappelle enfin les étapes essentielles à suivre: «Il est bon de se rassurer en faisant le Coronacheck. Et, si le résultat est mauvais, d’avoir un contact téléphonique avec son médecin ou les hotlines actives avant de prévenir le chef ou les RH. Pour se rassurer d’abord, et pour agir conséquemment.»
* Prénoms d’emprunt