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En Suisse, aucun article du Code pénal ne punit le harcèlement. Devant la complexité du droit, les victimes hésitent souvent à porter plainte, au civil comme au pénal

«Le cyberharcèlement n’est pas un délit.» Telle est l’unique réponse de l’institution Prévention suisse de la criminalité (skppsc) à la suite de nos questions. Voilà qui peut faire froid dans le dos des victimes de campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux, souvent démunies à l’heure de dénoncer les agissements de leurs bourreaux virtuels. Les autorités peuvent-elles poursuivre les coupables?
La France, elle, s’est dotée depuis 2018 d’une disposition permettant de poursuivre le harcèlement «en meute». «Quant au harcèlement simple, qu’il ait lieu dans le cadre du travail ou pas, il est punissable d’au maximum 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende», explique Mikael Mathieu, avocat membre du réseau Eurojuris, à Paris. Mais dans les faits, les procédures ne sont pas simples: la prescription est de six ans, et il faut avoir réuni suffisamment de preuves…
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Pas de loi sur le harcèlement en Suisse
Si la loi est imparfaite en France, elle a le mérite d’exister. Car en Suisse, strictement aucun article du Code pénal ne punit le harcèlement. «Toutes les motions déposées au parlement pour changer la loi ont été refusées par le Conseil fédéral», indique l’avocat vaudois David Vaucher.
Sous quel motif? Pour l’exécutif, le droit suisse permet déjà de condamner le harcèlement, même si c’est pour d’autres motifs: au pénal, ce sera l’«utilisation abusive des installations de communications pour des canulars téléphoniques ou des avalanches d’e-mails, par exemple. Ou, au civil, l'«atteinte à la personnalité» sert de chef d’accusation à des injures publiques.
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Prouver la souffrance
Dans tous les cas, il s’agit de démontrer, certificat médical à l’appui, les effets du harcèlement sur l’intégrité physique et morale de la victime – qu’elle souffre, si l’on résume grossièrement. Etant donné la multiplicité des chefs d’accusation, il est impossible de savoir vraiment combien de harceleurs ou harceleuses ont été condamnés en Suisse pour des motifs semblables à la Ligue du LOL.
La complexité du droit explique probablement pourquoi les victimes hésitent souvent à porter plainte, au civil comme au pénal. Il est difficile de dire à quel stade du harcèlement celui-ci devient valide aux yeux de la justice. Deux messages suffisent-ils? Et quarante? Quid s’ils sont anonymes? En complément d’une réponse légale, les personnes visées attendent aussi une réponse morale: sur leur lieu de travail ou de vie, elles souhaitent que leur calvaire soit reconnu, et que le ou la responsable soit écarté.
Les employeurs face à plusieurs options
Si un employeur est mis au courant d’une situation de ce type au sein de son entreprise, il a plusieurs options, le critère étant la rupture du lien de confiance. «Si le cas est évident, alors l’auteur peut être licencié pour justes motifs avec effet immédiat», précise l’avocat lausannois Alessandro Brenci. Une décision risquée, car la personne pourrait se plaindre d’un licenciement abusif si le cas n’est pas suffisamment étayé. «En général, ajoute l’avocat, le patron met un avertissement avec menace de licenciement à la suite de l’enquête sur l’affaire. Quitte à licencier par la suite le fauteur de troubles, avec trois mois de préavis.»
Ce qui est sûr, c’est que si l’employeur ne prend aucune mesure après la dénonciation de l’un de ses collaborateurs, une responsabilité peut lui être imputée et il peut être poursuivi. «Dans le Code civil, il existe une obligation de sauvegarde des intérêts de la victime», précise Alessandro Brenci. Dans ce cas, des dommages et intérêts peuvent être réclamés.