L'archéologue Israël Finkelstein et l'historien de la Bible Neil Asher Silberman, tous deux Israéliens, ont à nouveau frappé. Après avoir démontré, dans un précédent livre1 devenu un best-seller mondial, que la monarchie israélite unifiée des rois David et Salomon n'a jamais existé, voici qu'ils s'en prennent, dans un nouvel ouvrage savant2, à la fresque biblique prestigieuse qui raconte les exploits des deux monarques. Non que les auteurs cherchent à contredire les écrits de l'Ancien Testament. Mais le noyau historique de ces récits est enrobé selon eux d'une forte couche de mythe, et le but affiché des deux archéologues est de «montrer comment se sont développées les légendes de David et Salomon» qui ont modelé de manière significative les traditions politico-religieuses de l'Occident.

Dans cette perspective, il apparaît que la plupart des célèbres épisodes de l'histoire biblique de David et Salomon sont soit fictifs, soit très exagérés. Les deux rois ont certainement existé, mais leur geste est bien plus modeste que ne le dit la Bible. Les études bibliques ont démontré que les textes relatant l'ascension et le déclin des deux rois ont été écrits au plus tôt deux siècles après leurs règnes respectifs, soit vers le VIIIe siècle, moment où l'on détecte les premiers signes d'alphabétisation dans le royaume de Juda. Ils ne sont pas le fruit d'une seule plume, mais véhiculent de nombreuses couches de traditions apparues à différentes époques.

Selon toute vraisemblance, David et Salomon ont vécu au Xe siècle avant notre ère. Les découvertes archéologiques indiquent qu'à cette période Jérusalem n'était qu'un gros bourg de montagne. Dans ce contexte, David a émergé comme le chef d'une bande de hors-la-loi appréciés des paysans opprimés par les dirigeants locaux, comme le laissent entendre les descriptions du livre de Samuel. Grâce à son habileté, le bandit devient roi et fonde une dynastie.

Mais alors, les fastes de la cour du roi David, ses crimes, ses amours? De la pure fiction, selon Finkelstein et Silberman. La cour du David historique était sans doute insignifiante. Jérusalem ne comporte aucune trace de monument royal datant du Xe siècle av. J.-C. Le récit biblique s'inspire en réalité du souvenir de la cour opulente de la dynastie omride qui régna sur le royaume frère situé au nord de Juda au IXe siècle, entre 884 et 842 avant notre ère. Ce royaume, Israël, était aussi peuplé de sémites et avait pour capitale Samarie, une ville bien plus prestigieuse que Jérusalem.

De même, il faut en finir avec le mythe du jeune berger qui terrasse le géant philistin Goliath. La description détaillée de l'armure de Goliath que l'on trouve dans le livre de Samuel ne ressemble en rien à l'équipement militaire des premiers Philistins. Elle correspond en revanche à celui que portaient les mercenaires grecs à la fin du VIIe siècle. Selon Hérodote, ces mercenaires défendaient les intérêts égyptiens dans les guerres du Proche-Orient. Le récit biblique, qui a visiblement reçu des influences homériques, reflète ici les tensions accrues entre le royaume de Juda, dirigé alors par Josias, et l'Egypte de la XXVIe dynastie.

Et Salomon? Etait-il ce roi riche et prospère qui gouvernait sagement un vaste royaume? A-t-il construit le Temple de Jérusalem? Légendes, écrivent Finkelstein et Silberman. Au Xe siècle, le royaume de Salomon était minuscule, «excentré, peuplé en majorité d'analphabètes», et ne possédait «ni service public ni administration centralisée». Enfin, il ne présentait «aucun signe extérieur de prospérité économique».

Le récit biblique abonde pourtant de détails très réalistes. C'est que les auteurs ont relaté un souvenir historique authentique, mais postérieur de plusieurs siècles au règne de Salomon. Leurs descriptions correspondent mieux à ce que l'on sait aujourd'hui du royaume de Juda au début du VIIe siècle avant notre ère. Il était alors dirigé par Manassé (698-642 av. J.-C.). En revanche, les descriptions relatives à l'organisation du royaume rappellent l'administration de celui d'Israël. Le récit salomonique combine donc des éléments des traditions de Juda et d'Israël. Ce dernier royaume sera détruit par l'Assyrie, et seul Juda va survivre. Quant au Temple de Jérusalem, il ne reste aucun vestige archéologique permettant d'affirmer qu'il a été construit au Xe siècle. Quoi qu'il en soit, le temple monumental décrit par la Bible n'a pu être édifié qu'à une époque où Juda avait les moyens humains et financiers de le réaliser, et donc pas avant le VIIIe siècle.

Pour les auteurs, l'épopée de David et Salomon, rédigée aux alentours des VIIIe et VIIe siècles, a été composée pour cimenter le petit royaume de Juda par le biais d'une légende fondatrice et légitimer le nouvel ordre royal. Au fil des siècles, ce récit à l'immense postérité va devenir le socle des espérances messianiques judéo-chrétiennes.

1. La Bible dévoilée. Les nouvelles

révélations de l'archéologie,

Bayard, 432 p.

2. Les rois sacrés de la Bible.

A la recherche de David et Salomon, Bayard, 318 p.