«Depuis que je suis petite, mon père me dit: «Tu as intérêt à décider, sinon les autres décideront pour toi.» Pour Camille, 25 ans, enseignante suppléante à Genève, faire un choix relève souvent du casse-tête. «C’est l’enfer. Je rumine presque chaque décision: quel chemin je prends pour mon jogging, quel véhicule j’emprunte pour aller travailler. Il m’est arrivé d’hésiter tellement longtemps à rendre visite à une amie qu’il était trop tard pour y aller.»

Le problème de Camille est connu de ses proches: «On m’a conseillé le film L’embarras du choix, avec Alexandra Lamy. Et ma mère m’a offert un Decision Maker, ce plateau avec un pendule qui indique «Oui, non, demande à un ami.» Elle rit: «Ça ne marche pas tellement.»

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Notre société aux options illimitées favoriserait le doute, selon la Française Nadine Sciacca, thérapeute et médiateur en entreprise, auteure de l’ouvrage Comment prendre de bonnes décisions (Ed. Marabout, 2016): «Ma grand-mère prenait beaucoup moins de décisions. Elle savait qu’elle serait femme au foyer, mère et avec le même homme toute sa vie. Et quand elle faisait ses achats, ses possibilités étaient limitées. Aujourd’hui, on peut passer des heures sur internet à comparer les produits.»

Quand on a le choix, on a peur de se tromper, en fait. «Liberté implique responsabilité», explique Nadine Sciacca. «Par exemple, si l’on est en couple avec quelqu’un qui ne nous convient pas, impossible de se dire qu’on ne l’a pas choisi, il faut assumer.» Camille connaît ce sentiment: «Je stresse toujours à l’idée d’avoir mal choisi ou de manquer quelque chose.»

Nos mauvaises décisions sous la loupe

Si nous prenons de mauvaises décisions, c’est que nous réfléchissons souvent autour d’une seule option. Olivier Sibony est enseignant à HEC Paris et consultant, spécialiste de la prise de décision stratégique. Dans son livre Réapprendre à décider (Ed. Débats publics, 2015), il parle du «biais de confirmation». «Nous avons tendance à raisonner à partir d’une seule hypothèse. Par exemple, un recruteur qui a un bon feeling avec un candidat ne trouvera que des informations qui le confortent dans son idée. Il faudrait garder en tête les critères définis pour le poste, mais le recruteur va prendre en compte d’autres éléments pour confirmer son opinion, par exemple «Il a le même hobby que moi!»

Pour décider sans se fourvoyer, Nadine Sciacca propose notamment de suivre son intuition. «C’est la sagesse acquise au fil de l’expérience, les informations triées par notre cerveau qui nous indiquent ce qu’il faut refaire et ce qu’il faut éviter.» Une intuition à suivre donc, sauf exception: «Dans les domaines où nous n’avons pas d’expérience, notre cerveau n’a pas emmagasiné les données pour pouvoir juger.» Pour Olivier Sibony, au contraire, l’intuition n’est à suivre que rarement: «Cela fait sens uniquement dans les secteurs où on a pu vraiment mesurer les effets de ses précédentes décisions. Sinon, c’est un crime contre la rationalité.»

La solution est dans l’action

Agir: voilà la méthode que préconisent les deux experts. «Souvent, on cherche la solution dans notre tête, alors qu’elle se trouve dans notre pied. Il suffirait à un jeune d’un stage de quinze jours dans le métier qu’il hésite à exercer pour savoir si ça lui plaît», juge Nadine Sciacca. Pour Olivier Sibony aussi, il faut se confronter à la réalité. «La situation est nouvelle pour nous, mais quelqu’un y a sûrement déjà fait face. On se demande si un job nous conviendrait? Il faut questionner les gens qui le font.»

Et faire une liste de «pour» et de «contre»? Nadine Sciacca la recommande, mais avec un détail qui fait la différence. «Souvent, on arrive à deux colonnes égales. Notez de 1 à 10 l’importance de chaque avantage et inconvénient. A la fin, le total de points dans chaque colonne sera parlant.»


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