C’est au moment où le synode sur la famille a remis au pape ses conclusions sur la pastorale des concubins, des divorcés, des personnes homosexuelles et des enfants issus de mariages arc-en-ciel qu’un groupe de dix théologiens protestants publie à Genève, dans ce bastion réformé que sont les éditions Labor et Fides, un plaidoyer qui va dépoter dans les temples et les conseils de paroisse, L’accueil radical. C’est qu’il y est question essentiellement de l’identité sexuelle et de ses conséquences dans la pratique religieuse de la société contemporaine.

En clair, ces hommes et ces femmes plaident pour que l’Église accueille en son sein et à parts égales les personnes LGBTTQQI2SA. Woops! LGBT, on avait fini par s’habituer, pour lesbienne, gay, bisexuel/le et transgenre. MaisTQQI2SA, de quoi peut-il bien s’agir encore? C’est la théologienne neuchâteloise Muriel Schmid qui nous éclaire: «En juin 2014, cet acronyme fut officiellement adopté lors de la Pride mondiale à Toronto: lesbian, gay, bisexual, transgender, transsexual, questioning, queer, intersex, two-spirited, allies; cette série est peut-être la plus répandue, même si peu nombreux/.ses sont ceux et celles qui parviennent à la mémoriser.» Traduction française: «lesbienne, gay, bisexuel/.le, transgenre, transexuel/.le, se posant des questions, queer, intersexe, à genre variable, et enfin allié/.es soutenant ce combat pour l’inclusion.

C’est à ces signes linguistiques que l’on mesure la distance parcourue entre les années quatre-vingt et aujourd’hui de la conversation protestante sur de l’identité sexuelle. Mais Muriel Schmid est lucide: si les choses ont évolué, si l’exigence d’inclusion s’impose petit à petit, l’impulsion n’en est pas venue des églises, mais de la société civile. Le résultat de cette pollinisation, la théologie dite queer: «représente un pas incommensurable dans ce que la théologie chrétienne cherche à accomplir en matière d’inclusion et d’ouverture à d’autres formes de pensée. Cela s’accompagne de nombreux défis.» Ces défis, un mot les résume: «inclusion.» Concevoir et proposer une théologie qui table non sur l’exclusion des personnes qui n’entreraient pas dans les canons de la communauté ecclésiale, mais au contraire sur l’inclusion de toutes et de tous et l’acceptation de l’identité de chacun.

La théologie queer

Le premier levier de l’Église inclusive, c’est ce que les Anglo-Saxons appellent la «queer theology». Muriel Schmid: «La queer thelogy ne cherche pas seulement à décrire les conditions d’accueil ou d’intégration de la communauté homosexuelle sur les bancs des églises, mais elle revendique le droit à un discours théologique inspiré par l’expérience de cette multiplication des identités et post-identités.» Ces identités que Muriel Schmid évoquait plus haut, les LGBTTQQI2SA.

Chaque individu est un cas particulier

Le deuxième levier de l’Église inclusive, c’est la prise de conscience que l’histoire de chaque individu est faite d’expériences et d’oppressions qui ne sont pas identiques. Pour faire simple: être une femme, blanche et lesbienne ne réserve pas les mêmes expériences de vie qu’être une femme, lesbienne, mais afro-américaine. Les systèmes d’oppression ne coïncident pas complètement. D’où l’importance des histoires individuelles dans la conversation générale menée autour de l’identité.

La théologie de l’indécence

Le troisième levier de l’Église inclusive, c’est ce qu’on appelle la théologie de l’indécence, telle que l’a définie celle qui a forgé le concept, Marcella Althaus-Reid: «une théologie de l’indécence est une théologie qui s’ancre dans la vie des gens et de leurs expériences fondamentales sans les censurer.». C’est une théologie, aussi, qui a fait sienne le soupçon: «la théologie de la libération a aidé à démasquer les intérêts politiques présentés en théologie comme «volonté divine». Ceci s’appelle en théologie «un soupçon idéologique». A ce soupçon politique ajoutons maintenant une combinaison de soupçons dans ce qui forme le discours de la théologie: politique, économique, racial, colonial et aussi sexuel. L’usage de ces soupçons lorsqu’on lit la Bible ou lorsqu’on réfléchit à la manière dont la théologie dicte aux femmes ce qui est péché représente un acte subversif que je nomme indécence.»

Oser être créatif avec la Bible

Le quatrième levier de l’Église inclusive, c’est une conception de la Bible qui bousculera les exégètes traditionnels. Ici, c’est le théologien américain Patrick Cheng qui est à la manœuvre: «Bien que l’Ecriture (et en particulier les quelques «textes de terreur» pour les personnes LGBT) ait été utilisée comme moyen d’oppression pour les personnes LGBT, des exégètes queer ont récemment non seulement démantelé ces interprétations antiqueer et offert des lectures alternatives, mais ils/elles se sont également «réapproprié» ou ont «revendiqué» la Bible en l’interprétant de manière positive et constructive à partir de leurs propres perspectives.» Bref, ce que suggère l’Église inclusive, c’est que l’on ne se laisse pas limiter dans sa lecture de la Bible et que l’on se donne le droit d’être créatif avec les textes. Créatif et surtout – positif.

On l’imagine aisément: un tel programme est à des années-lumière de ce que la théologie catholique prône en la matière. Les communautés protestantes, elles, du fait de leur fonctionnement décentralisé et de leur absence de magistère vertical à la romaine, ont des positions contrastées, qui vont du fondamentalisme le plus étroit au radicalisme le plus audacieux.

L’internet comme levier de conviction

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat et la conversation, au sens où l’entendent les réseaux sociaux, est toujours tumultueuse. Et témoigne le pasteur français Jürgen Grauling, qui, pour diffuser les idées de la théologie inclusive a inauguré une pastorale consistant à animer sur Internet le débat. Il témoigne: «Internet s’est révélé un outil intéressant pour provoquer l’échange et déjouer les obstacles qui se dressent dès qu’un sujet comportant autant d’enjeux théologiques et émotionnels est abordé.» Jürgen Grauling compare même le processus du forum conversationnel comme les midrashim qui, dans la tradition juive, donnent corps au texte biblique. Enthousiaste, Jürgen Grauling constate combien le niveau du débat s’est élevé, les arguments affinés. Et combien les esprits ont fini par évoluer plus vite que prévu.

Tout n’est pas toujours rose

Tout n’est pourtant pas aussi rose et arc-en-ciel dans l’accueil fait à la théologie inclusive. Ce dont témoigne l’animateur de la Maison Verte, Fraternité de la Mission populaire évangélique de Paris, le pasteur Stéphane Lavignotte qui décrit avec beaucoup de réalisme combien les posture d’ouverture d’une communauté ecclésiale peut très rapidement butter sur des difficultés quand les revendications des personnes LGBT montent en puissance. Sans parler de continent, comme l’Afrique, dont la situation a poussé le révérend Jean-Blaise Kenmogne à provoquer le débat: «Lorsque j’ai pris conscience de la manière désastreuse et inhumaine dont les Eglises considéraient la questions des minorités sexuelles en Afrique, j’ai décidé de m’engager.» Et le recteur de l’Université évangélique du Cameroun de parler du «caractère partial et vicié de la lecture des textes bibliques sur l’homosexualité dans les Eglises africaines aujourd’hui.»

Edité par deux docteurs en théologie, l’un Suisse, Yvan Bourquin, l’autre française, Joan Charras Sancho; préfacé par un professeur au Collège de France, bien connu des Romands, il a enseigné à Lausanne, Thomas Römer, L’accueil radical est un plaidoyer pour que le protestantisme bouge ses lignes. Il va dépoter les esprits.