Dominique Ropion, le maître des fleurs
La senteur
Il est l’auteur de Ysatis et Amarige de Givenchy, La vie est belle de Lancôme… Son nez affûté a compris depuis longtemps que le succès d’un parfum est imprévisible. Egalement homme de lettres, il vient de publier ses aphorismes, un régal

Comment êtes-vous «tombé» dans la parfumerie?
Je suis d’abord tombé dans le monde des odeurs, avant celui des parfums. Enfant, je savais différencier mes petites voitures en les reniflant (entre les Dinky Toys et les autres). Je reniflais aussi l’odeur des villes, de la montagne où je suis resté plusieurs mois pour guérir d’une maladie. Et puis mon instinct a rencontré mon destin: ma mère travaillait à l’école de parfumerie de la maison Roure. J’ai découvert alors que ma passion pour le monde des odeurs pouvait aussi devenir un métier.
Vous vous interrogez beaucoup sur les fonctions du parfumeur, par exemple sur son potentiel à rapprocher les hommes. Est-ce un véritable engagement envers les autres?
Engagement, le terme est peut-être fort. Il est vrai que le parfum contribue à créer un signal. Le parfumeur crée, et celui qui porte son parfum se l’approprie, de façon très personnelle, en dehors de toute intention du parfumeur. Un parfum, c’est d’abord l’art de composer avec des odeurs. C’est un langage non verbal, qui dispense justement de la conversation. Il introduit, sans cérémonie, les interlocuteurs dans notre sphère intime.
Aujourd’hui, vous prenez la plume et mettez des mots sur les odeurs. Pourquoi?
J’ai eu envie de montrer ce qui se passe dans la tête d’un parfumeur, son environnement. Et susciter des vocations… Chaque parfum peut être évocateur d’une ou de plusieurs histoires. Chaque odeur est associée à un ou plusieurs souvenirs. Comme je l’écris dans mon livre: «C’est un engagement quasi poétique de chercher à émouvoir ses semblables.»
Le succès d’un parfum est-il réellement imprévisible?
Absolument. A l’inverse, aucun grand succès de la parfumerie n’est usurpé, car à l’usage, avec le temps, c’est le parfum qui fait revenir les femmes dans les parfumeries.
Vous dites croire en la saveur d’un trait de vulgarité. Avez-vous un exemple?
On peut utiliser, à dose invisible, des notes qui ne sont a priori pas destinées à la parfumerie de luxe. J’ai cité Diana Vreeland, journaliste de mode dans les années 1950 et rédactrice en chef de Vogue: «Un peu de mauvais goût jeté comme une note de paprika, nous devrions en faire davantage usage. Ce que je combats, c’est le non-goût.» Il y a des notes ou des accords qui ne contribuent pas à la signature d’un parfum, mais qui accrochent le nez des consommateurs, en étant une première approche facile.
Quelle fleur vous a donné le plus de «fil à retordre»?
Le narcisse. C’est une fleur compliquée, car ce qui constitue son identité est donné par des notes qui ne sont pas d’un premier abord aussi plaisant que la rose, le jasmin, ou la tubéreuse à l’état brut. Mais j’y travaille.
Dominique Ropion, Aphorismes d’un parfumeur, Editions Nez/Le Contrepoint, 2018.