Fertilité
Les enfants nés par un don de sperme après 2001, devenus majeurs en 2019, peuvent désormais obtenir identité et caractéristiques physiques de leur géniteur par simple courrier. Qu’est-ce qui motive encore les donneurs?

En Suisse, le don de sperme n’est plus anonyme depuis 2001. Cette année, les premiers enfants helvétiques nés grâce à un don atteignent ainsi leur majorité et peuvent désormais obtenir l’identité et les caractéristiques physiques de leur père biologique.
Afin de faciliter l’accès à ces données, une modification de l’ordonnance sur la procréation médicalement assistée est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Plus besoin de se déplacer à Berne, les indications peuvent être envoyées par un simple courrier recommandé à domicile ou chez un intermédiaire choisi. Pour le moment, «aucune demande n’a encore été enregistrée», indique Nathalie Mégevand, collaboratrice scientifique à l’Office fédéral de l’état civil.
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Un «changement de profil socio-économique» des donneurs
Cette transparence totale au sujet d’une pratique encore taboue a-t-elle dissuadé les donneurs de sperme? «En partie, observe le Dr Daniel Wirthner, directeur médical du Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de Lausanne, l’une des deux banques de sperme de Suisse romande avec le CHUV. Nous avons surtout observé un changement de profil socio-économique et de motivations: les donneurs sont souvent des universitaires qui ont mûri leur réflexion et donnent leur sperme par altruisme ou parce qu’ils ont envie de laisser une trace d’eux sur terre.»
«Je donne mon sang régulièrement et après avoir discuté avec ma femme, j’ai décidé de donner mon sperme afin que quelque chose qui m’appartient puisse aider quelqu’un d’autre, explique ainsi Frédéric, géomètre de 37 ans, père de deux enfants. Je n’y vois rien d’immoral ou de métaphysique. Pour moi, c’est un acte scientifique et technique qui a quelque chose de noble.» Les motivations de Matteo, informaticien de 23 ans et célibataire, sont un peu différentes. Le jeune homme a été attiré par l’idée d’associer «un petit gain d’argent et une nouvelle expérience». En Suisse, les donneurs ne sont cependant pas payés, mais défrayés une centaine de francs par don, et doivent fournir dix gamètes valables avant de percevoir la somme totale.
J’ai déjà des enfants avec ma femme qui grandissent et que j’éduque. S’ils cherchent un nouveau père, ce n’est pas sur moi qu’il faudra compter. Je ne les considérerai pas comme des enfants à moi
Matteo a attendu un an avant de franchir le pas et sa motivation financière est vite devenue secondaire. «Quand je suis arrivé au centre, j’ai vu des couples qui étaient là pour des problèmes de fertilité. Cela m’a touché et m’a donné envie d’aider. Ensuite, j’ai dû m’engager à ne pas me masturber environ cinq jours avant chaque don et à ne pas fumer. Moi qui étais fumeur et regardais beaucoup de porno, cela m’a motivé à poursuivre cette démarche. Finalement, après avoir passé tous les tests, il s’est avéré que mon sperme est d’excellente qualité. Tout cela m’a finalement aidé au-delà de mes espérances et dans plusieurs domaines.»
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Un peu plus de la moitié des enfants nés d’un don l’apprennent
Selon la loi, le sperme d’un donneur peut être utilisé pendant cinq ans, pour un maximum de huit enfants. L’idée de laisser une importante hérédité n’effraie pas les hommes interrogés, au contraire. «C’est valorisant de se dire que son patrimoine génétique perdure sur terre, cela flatte l’ego», reconnaît Frédéric. «Inconsciemment, nous avons un instinct de reproduction et il est fascinant de penser que quelque chose de moi restera en vie et que grâce aux progrès de la science je me suis reproduit sans l’acte lui-même», poursuit Matteo.
Comme pour l’adoption, les professionnels recommandent aux couples de raconter leur histoire aux enfants nés d’un don de sperme. «Cela aide à construire leur identité s’ils se questionnent sur leur mode de conception et évite que l’information soit révélée à un moment inopportun», explique Laure de Jonckheere, conseillère en santé sexuelle au CPMA et membre de FertiForum. Un peu plus de la moitié des enfants nés d’un don l’apprennent. Parmi eux, et selon les expériences et les études d’autres pays, 10 à 40% font des démarches pour connaître l’identité du donneur.
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«Je ne leur dois rien, et eux non plus»
Il n’est donc pas impossible que ces derniers soient un jour contactés par un enfant né grâce à leur sperme. Comment vivent-ils avec cette idée? «Je me fais des petits scénarios, dit Matteo. L’idée de faire connaissance me ferait plutôt plaisir. Je ne sais pas où je serai vers 40 ans. Cependant, je sais qu’il existe un risque humain que je m’attache à quelqu’un que je ne connais pas.» Le jeune homme espère qu’il s’agira d’une démarche positive: «Je serais heureux de voir que j’ai réussi à donner vie à un être heureux sur terre.» Matteo est en revanche très clair: il ne mettrait pas les enfants nés d’un don dans le même panier que les siens, s’il devait en avoir un jour. «Je comprends qu’en faisant ce don, je ne leur dois rien, et eux non plus.»
Frédéric rappelle que le donneur doit donner son consentement à une rencontre. Aujourd’hui, il ne voit pas de raison de s’y opposer, «cela pourrait être sympa». Il a lui aussi fixé ses limites: «J’ai déjà les enfants que j’ai avec ma femme qui grandissent et que j’éduque. S’ils cherchent un nouveau père, ce n’est pas sur moi qu’il faudra compter. Je ne les considérerai pas comme des enfants à moi.»
L’importance de l’assistance psychologique
La modification de l’ordonnance sur la procréation médicalement assistée, axée sur la transparence et le droit à la personnalité, supprime en outre l’obligation d’un accompagnement psychosocial lors de la demande d’accès aux informations sur le donneur. Les professionnels interrogés le regrettent. «La loi dit qu’une assistance psychologique doit être apportée avant, pendant et après tout traitement de procréation médicalement assistée. La demande de renseignements sur le donneur n’est pas un traitement en soi, certes. On peut néanmoins le voir comme son prolongement», souligne le Dr Nicolas Vulliemoz, médecin associé à l’unité de médecine de la fertilité et endocrinologie gynécologique du CHUV.
Les enfants peuvent être déçus de cette rencontre ou touchés qu’un donneur refuse de les voir. […] Il est alors important de pouvoir se tourner vers des professionnels
L’association FertiForum a demandé au législateur de maintenir cette obligation de soutien. Elle n’a pas été entendue et le regrette. «Tout peut très bien se passer, admet Laure de Jonckheere, membre de l’association. La plupart des personnes font une demande par simple curiosité pour voir à quoi ressemble le donneur, par exemple.» Cependant, prévient-elle, d’autres peuvent aussi chercher leur donneur dans une période de crise. «Il est alors fondamental de proposer un soutien et de les préparer à une éventuelle rencontre, estime-t-elle. Les enfants peuvent être déçus de cette rencontre ou touchés qu’un donneur refuse de les voir. Nous sommes humains et dans les moments très émotionnels, nous ne sommes pas très rationnels. Il est alors important de pouvoir se tourner vers des professionnels.»
Le don d’ovocyte reste, lui, interdit: «une injustice»
Si le don de sperme est pratiqué en Suisse depuis des décennies, le don d’ovocytes (ou d’ovules) reste interdit. Pour quelles raisons? «Elles sont difficiles à expliquer», répond le Dr Nicolas Vulliemoz du CHUV. Même si un don de sperme est plus simple à effectuer qu’un don d’ovocyte, cela ne justifie pas son interdiction. Pour moi, c’est une injustice.»
En 2016, vingt pays européens le permettaient. Il y a sept ans, le conseiller national PDC Jacques Neirynck avait demandé une modification de la loi mettant en avant qu’«il n’y a pas de raison biologique ou éthique de faire une distinction entre les deux types de gamètes, les spermatozoïdes et les ovules». Sa demande a été classée en 2016. L’année suivante, la PLR Rosmarie Quadranti a déposé une motion formulant la même requête.
Le Conseil fédéral a alors estimé qu’il était prématuré de légiférer vu que tous les changements de la loi sur la procréation médicalement assistée n’étaient pas encore en vigueur et a invité les parlementaires à rejeter le texte, soulignant que «la légalisation du don d’ovules pose des questions délicates en matière de politique sociale, d’éthique, de médecine et de droit». La motion PLR n’a pas encore été traitée. Rosmarie Quadranti redoute qu’elle ne soit, elle aussi, classée. (L. G.)
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