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La douloureuse séparation du christianisme et du judaïsme expliquée sur Arte

Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, les auteurs de la série d'émissions «Corpus Christi», ont réalisé un nouvel opus sur les débuts du christianisme qui sera diffusé sur la chaîne franco-allemande dès samedi. Une vingtaine de chercheurs ont participé à cette enquête.

«Le christianisme est une aberration historique, comme on qualifie en physique un phénomène qui, logiquement, ne devait pas se produire.» C'est ainsi que Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, les réalisateurs du célèbre documentaire Corpus Christi diffusé à Pâques 1997 et 1998 sur la chaîne Arte, concluent le livre* qu'ils ont consacré à la naissance de la religion chrétienne et qui accompagne leur nouvelle série d'émissions**, visible sur le petit écran dès samedi. Effectivement: on sait aujourd'hui que Jésus n'a jamais voulu créer une nouvelle religion ni rompre avec le judaïsme. De même, si l'on reconnaît actuellement en Paul l'inspirateur du christianisme tant au niveau doctrinal que cultuel, il n'en reste pas moins que l'apôtre n'avait pas non plus songé à fonder une nouvelle croyance. Paul était juif, et il n'avait pas d'autre but que celui de convaincre ses coreligionnaires de la messianité de Jésus. Que s'est-il passé? Comment une petite secte interne au judaïsme est-elle devenue la religion chrétienne? Pour répondre à ces questions, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ont interrogé une vingtaine de spécialistes des origines du christianisme, parmi lesquels quelques universitaires suisses, comme Daniel Marguerat, François Bovon, François Vouga et Enrico Norelli. Loin de tout esprit dogmatique, ces historiens et ces exégètes chrétiens et juifs racontent Bible en main comment le christianisme est né à l'intérieur du judaïsme pour s'en séparer définitivement au IIe siècle. Passionnante et instructive, cette saga des débuts d'une nouvelle foi révèle aussi les zones d'ombre du christianisme primitif, en particulier le développement de l'antijudaïsme et de l'antisémitisme chrétiens. Elle aborde également les terres dangereuses où s'affrontent l'histoire et la foi, les faits et les dogmes. La fratrie biologique de Jésus, la croyance en la virginité perpétuelle de Marie, la place de Pierre dans la communauté, la fiabilité des Actes des Apôtres en tant que texte à prétention historique, les nombreuses contradictions du Nouveau Testament, tous ces thèmes délicats sont discutés sereinement et ouvertement.

Vu la pauvreté des sources et le caractère non scientifique des textes du Nouveau Testament, il est difficile de reconstruire un récit historique suivi des origines du christianisme. Pourtant, les spécialistes interrogés brossent un tableau cohérent et convaincant des débuts de cette religion, dont le cœur est l'annonce de la résurrection de Jésus. Au commencement, point de chrétiens ni d'Eglise, mais des juifs et des communautés diverses. Des disciples qui attendent un Royaume tardant à venir. Une division entre ceux qui parlent hébreu, identifiés comme le groupe des judéo-chrétiens par les historiens, et ceux qui parlent le grec, les hellénistes.

Au commencement aussi, Pierre, premier chef de la communauté judéo-chrétienne, Jacques, frère de Jésus et successeur de Pierre, et Paul. Paul n'a jamais rencontré Jésus, si ce n'est dans une vision, et pourtant il est l'auteur des premiers textes chrétiens connus. Ses épîtres ont en effet été rédigées une vingtaine d'années avant les Evangiles. Sans cet apôtre au zèle et à l'intelligence impressionnants, la religion chrétienne n'aurait sans doute jamais vu le jour. Il constitue le pilier de cette série d'émissions, tant ses écrits ont donné sa colonne vertébrale au christianisme. Pour les juifs, Paul de Tarse est un traître, puisqu'il aurait été l'artisan de la rupture entre le judaïsme et le christianisme. Mais les choses sont bien plus complexes, et c'est le grand mérite de ces émissions de montrer que l'origine du christianisme n'est jamais là où on l'imagine. Face à la résistance juive, l'apôtre a été en quelque sorte contraint d'ouvrir aux païens la foi qu'il professait. Juif, Paul voulait convaincre les juifs. Cet échec, quand bien même il rend possible l'avènement d'une nouvelle religion, provoque néanmoins l'amertume de Paul à l'égard de ses coreligionnaires. La déception est immense et explique sans doute les phrases très dures que l'apôtre a écrites sur les juifs, pour autant qu'il en soit bien l'auteur, des interpolations n'étant pas exclues. Après la mort de Paul, il faudra encore quelques dizaines d'années à la jeune foi pour prendre conscience de sa différence. Définitivement rejetées par les juifs à la fin du Ier siècle, les communautés chrétiennes vont réagir en constituant le canon de leurs textes sacrés. Dans ce processus, elles vont confisquer l'intégralité de la Bible hébraïque, en dépossédant les juifs de leur identité. A la fin du IIe siècle, les chrétiens proclament que ceux-ci ne comprennent pas la signification de leurs propres textes et affirment que les fidèles de la nouvelle foi sont le «verus Israël», le véritable Israël. La séparation est consommée.

*Jésus après Jésus. L'origine du christianisme, Gérard Mordillat, Jérôme Prieur, Seuil, 386 p.

**L'origine du christianisme, les 3, 9, 10, 16 et 17 avril sur Arte.