On connaissait les senteurs d’Opium, lancé par Yves Saint Laurent en 1977. Un nom tellement osé et avant-gardiste. On connaissait l’huile de chanvre et ses bienfaits en cosmétique. Voici que la marijuana s’empare des parfums intimistes de la rentrée. Jusqu’ici, elle s’était faite timide dans des jus exclusifs, peu connus du grand public. En Europe, il aura fallu attendre que la maison Oxbow en 2008 ose surfer sur un cœur de cannabis dans Oxbow for men, un parfum pour jeunes gens empreints de liberté et d’embruns. L’année suivante, une petite révolution de fraîcheur pour homme qui ne se laissaient pas aisément définir est arrivée sur le marché. Son nom? Jamais le Dimanche, un parfum surprenant et inclassable, unissant marijuana et encens. Il a été pensé par Pierre Aulas et le parfumeur Alberto Morillas pour Egofacto. La même année, Alessandro Gualtieri crée Black Afgano chez Nasomatto, une ode à la résine de cannabis. Le résultat est aussi sombre et résineux que Jamais le Dimanche est frais et en envol. Encore aujourd’hui, ces deux parfums renvoient l’image d’un homme qui refuse de se laisser formater.
Il aura toutefois fallu attendre 2013 pour qu’une parfumeuse italienne, Silvana Casoli, qui a par ailleurs créé l’eau de Cologne du pape Benoît XVI, s’empare à nouveau de cette note pour en faire un parfum féminin et apaisant, appelé simplement Cannabis (Il Profvmo), à partir de fleurs de cannabis naturelles.
C’est du haut d’une maturité nouvelle que deux créateurs, en cette rentrée, continuent à explorer les facettes de cette note subversive. Ils intègrent le cannabis à des parfums pour des hommes et des femmes qui ont définitivement les pieds sur terre. On ne provoque plus. On ne joue plus l’ambiguïté. On assume ce que l’on est.
Si la marijuana, dans les compositions olfactives, se présente essentiellement sous forme de synthèse ou à base de notes épicées, comme l’explique la parfumeuse Aliénor Massenet, il ne faut pas se méprendre. La reproduction de synthèse conduit à des résultats saisissants et trouble les sens autant que le produit naturel. Pour preuve, Jack, le premier parfum de Richard E. Grant, sorti sur le marché ce printemps, s’est fait désosser, de l’emballage au flacon, à la douane française. Avait-il rendu fous les chiens? Si tel est le cas, c’est un pari gagné pour l’acteur britannique. Il ne songeait peut-être pas à nos amis à poils et à crocs en créant Jack mais il voulait indéniablement créer un parfum «addictif» à la hauteur de sa passion animale pour les odeurs, un parfum qui fait «roarrrrr» au débouché comme il l’expliqua à la parfumeuse Aliénor Massenet, qui a créé la fragrance, lors de leur première rencontre.
Le second parfum flirtant avec le cannabis, cette rentrée, s’appelle Junky. Il s’inspire d’un roman âpre pour aller vers le beau, l’essence du soi. Sa créatrice nous explique lors d’un entretien: «C’est quand on est en paix avec soi qu’on peut apprécier la compagnie de Junky.»
Jack, en écho, est la réalisation du rêve d’une vie, un tournant majeur dans le cœur d’un homme qui assume ses désirs. Et si l’on peut respirer et s’asperger de ces créations en toute légalité, ces fragrances révèlent une addiction décomplexée. Paroles de créateurs.