«La fonction de conseillère fédérale exige un engagement total.» «Ce travail est un privilège, mais aussi très difficile.» «Je n’ai tout simplement plus assez d’énergie.» Le 2 novembre, le 19 janvier et le 15 février derniers, trois dirigeantes ont, en même temps qu’elles jetaient l’éponge du pouvoir, dit l’exigence ultime d’une vie politique au sommet. Les démissions de la ministre Simonetta Sommaruga, de Jacinda Ardern, désormais ex-première ministre néo-zélandaise, et de son homologue écossaise Nicola Sturgeon mettent en lumière l’humanité derrière le tailleur.

Bien qu’étonnants par leur succession, ces départs doivent-ils aussi poser une question genrée? Pour Lorena Parini, politologue et professeure honoraire à l’Université de Genève, il est clair que le fait qu’il s’agit de trois femmes est à relever. «Ça m’a frappée. C’est plutôt rare de voir un homme de pouvoir quitter volontairement ses fonctions.» L’histoire suisse montre pourtant plusieurs précédents au rang des départs surprises masculins. Rappelons-nous de Didier Burkhalter, retiré du Conseil fédéral en 2017 car il avait «le besoin d’écrire (…) une nouvelle page dans (s) a vie». Des anciens conseillers d’Etat verts Philippe Biéler et François Marthaler, partis de l’exécutif vaudois en 2003 et 2012; le premier évoquant une «accumulation de fatigue» et le second la volonté de se consacrer «à autre chose pour influencer le cours du monde». Tandis qu’entre deux, le socialiste Jean Christophe Schwaab abandonnait le Conseil national en 2017 pour s’occuper de son fils souffrant de trouble du développement. Entre autres exemples.

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Une «double responsabilité» des femmes

Alors oui, chaque départ précipité s’inscrit dans un contexte politique unique et dresser des comparaisons ou des généralités s’avère compliqué. Reste que, pour Lorena Parini, il faut noter que, dans les démissions récentes, trois femmes ont dit tout haut qu’elles étaient au bout de ce qu’elles pouvaient faire. La docteure en sciences politiques s’explique: «Elles se responsabilisent davantage que les hommes. Si elles sont au pouvoir, les femmes veulent avoir 100% d’énergie et de compétences pour faire leur travail, alors que les hommes qui n’ont pas ces 100% ne vont pas le voir comme un problème. Ils ressentent moins ce versant «responsabilité». Et la professeure honoraire d’aller plus loin: «Je pense que certains devraient en prendre de la graine, car ils veulent toujours donner l’impression de maîtriser alors qu’en réalité, ils ne gèrent pas mieux que leurs homologues féminines.»

La responsabilité. Marie Garnier l’évoque instinctivement au moment de commenter les retraits de Nicola Sturgeon, Jacinda Ardern et Simonetta Sommaruga. L’ancienne conseillère d’Etat verte avait quitté le gouvernement fribourgeois en 2018, prise dans la tourmente d’une affaire de fuites dans laquelle elle sera ensuite définitivement blanchie. «Je comprends le choix de ces femmes, parce qu’une politicienne a presque toujours une double responsabilité: pour sa famille et pour la politique. Quand on sent que la famille est en danger, on doit faire un choix. Moi, je n’avais plus d’énergie pour les deux.»

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«J’ai dû faire trois fois mieux que les hommes»

Lorena Parini relève que, dans un milieu déjà hautement stressant et compétitif, les femmes doivent, bien plus que les hommes, montrer qu’elles sont «capables» pour tenir le coup. «Elles se disent qu’elles doivent prouver qu’elles méritent leur place, tout en étant plus sujettes à la culpabilité et au tiraillement face à leur vie privée, parce qu’elles ont été socialisées d’une façon qui les pousse à s’occuper de leurs proches.»

Marie Garnier se souvient de la difficulté d’un quotidien usant aux horaires très intenses et de la ténacité nécessaire pour «faire avancer les projets et déjouer les attaques». Tout comme elle dit le souvenir amer d’une «presse avide de scandales» et de «larmes aux yeux». Elle y ajoute une couche rêche de vernis genré: «En tant que femme de la gauche minoritaire à Fribourg et première verte au gouvernement, j’ai dû faire trois fois mieux que les hommes pour être considérée ou que mon travail soit reconnu.»

Pouvoir, masculinité et virilité

Finalement, si certains ont le sentiment que les politiciennes ont moins de peine à lâcher les rênes du pouvoir que les politiciens, ce n’est sans doute pas que les premières aiment moins la puissance, dit Lorena Parini. «J’ai vu certaines femmes s’y accrocher, mais ce n’est pas la règle», signale d’ailleurs Marie Garnier. Il s’agirait simplement d’une question de masculinité et de virilité intériorisées, selon la politologue, poussant les hommes à se définir en tant qu’hommes par une palette de pouvoirs – politique, financier, séducteur. Dans ce cadre, quitter son costume, voire assumer publiquement sa vulnérabilité, serait comme perdre un peu de l’homme que l’on est.

Pour tendre vers l’apaisement, nos intervenantes font le vœu de resserrer les liens par ce qui nous unit, en tant que société. «Nos faiblesses nous rassemblent davantage que nos forces», pose Lorena Parini. Alors que Marie Garnier rêve d’une sororité à toute épreuve.

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