Amanda Gorman, poétesse de la réconciliation

L’espoir au cœur de l’obscurité. Par sa grâce et sa maturité, par sa maîtrise de l’art oratoire et son phrasé, la poétesse de 22 ans a fait sensation, le 20 janvier, lors de la cérémonie d’investiture du président américain Joe Biden, avec son poème The Hill We Climb (la colline que nous gravissons). Dans une Amérique déchirée, qui venait de vivre l’attaque meurtrière du Capitole par des militants pro-Trump, elle a plaidé pour un retour à l’unité. Et qui de mieux qu’une «fille noire maigre, descendante d’esclaves, élevée par une mère célibataire», pour incarner ce puissant appel à la réconciliation et à la tolérance aux côtés d’un nouveau président? Amanda Gorman a, durant son enfance, su braver les difficultés. Militante, rebelle, féministe, elle est déterminée à briser les plafonds de verre. Elle puise son inspiration dans les exemples de discrimination et s’inscrit dans la droite ligne d’autrices afro-américaines engagées, comme Toni Morrison ou Maya Angelou. Amanda Gorman est devenue une icône, consciente de la responsabilité qui lui incombe. Celle, malgré son jeune âge, de représenter un modèle pour de nombreuses jeunes femmes qui désormais, comme elle, peuvent aussi rêver de devenir un jour présidente des Etats-Unis. Valérie de Graffenried, New York

Lire aussi:  Amanda Gorman, la jeune poétesse qui a fait sensation lors de l’assermentation de Joe Biden


Ronan Farrow, au nom de #MeToo

Il est l’homme qui a fait tomber Harvey Weinstein. Fils de Mia Farrow et de Woody Allen, le New-Yorkais a obtenu en 2018 le Prix Pulitzer pour ses révélations, dans le New Yorker, sur le comportement de prédateur sexuel du producteur d’Hollywood. Un honneur partagé avec deux consœurs du New York Times. Le journaliste d’investigation, qui en a fait un livre – Les faire taire. Mensonges, espions et conspirations: comment les prédateurs sont protégés –, ne s’est pas arrêté à Harvey Weinstein, qui purge désormais une peine de 23 ans de prison pour viol et agressions sexuelles. Ce surdoué, un féministe depuis toujours sensible aux injustices, qui a fait son coming out en 2018 à l’âge de 30 ans, a depuis contribué à faire entendre les voix d’autres victimes de harcèlement et d’abus sexuels. Déterminé, incisif, et parfois un brin arrogant, Ronan Farrow a bien sûr ses détracteurs. Mais le mouvement #MeToo lui doit beaucoup. Sa combativité et sa révolte prennent racine dans son propre vécu familial. Ronan a pris fait et cause pour sa sœur Dylan, qui accuse leur père, Woody Allen, jamais inquiété par la justice, d’abus sexuel. Une affaire qui fait l’objet d’un troublant documentaire en quatre épisodes diffusé ces jours. Valérie de Graffenried, New York

Lire aussi:  Ronan Farrow, le surdoué «tombeur» de Harvey Weinstein


Pamela Ohene-Nyako, la plume dans la plaie

La fierté. C’est l’un des premiers sentiments qui transparaît lorsque l’on s’adresse à Pamela Ohene-Nyako. Elle n’est ni hautaine, ni distante ou méprisante, elle inspire l’audace et la fougue. A 30 ans, cette Suisso-Ghanéenne partisane d’un féminisme intersectionnel, mène un combat pour une société plus égalitaire: à travers la thèse qu’elle prépare sur les circulations transnationales et les mobilisations de femmes noires d’Europe entre 1970 et 1990, et lorsqu’elle manifeste aux côtés des collectifs féministes et antiracistes. Pamela est une femme de lettres et sait aussi mettre en avant celles qui, comme elle, portent la plume dans la plaie. Elle fonde en 2016 la plateforme Afrolitt qui pense la littérature africaine comme un outil de réflexion critique. Elle n’a pas peur de dénoncer les masculinités toxiques: «La masculinité noire est parfois surjouée», dit-elle. Chant, dessin, mais aussi spiritualité: elle défend le chamanisme et le bien-être comme facilitateurs sur le chemin de la revalorisation. Et comme si son emploi du temps n’était pas assez chargé, on retrouve désormais cette amatrice d’ambiances soul dans l’émission Nayuno sur Couleur 3. Elle y évoque ses coups de cœur musicaux, mais jamais sans un éclairage historique et social. Inspirante. Marie-Amaëlle Touré

Lire aussi:  Pamela Ohene-Nyako, l’afro-féministe partisane de l’art thérapeutique


José Tippenhauer, le rap au féminin

Le Genevois de 32 ans est obnubilé par les frontières. Celles qui s’érigent entre les pays, les disciplines, ou encore les personnes. Il a ainsi voulu repousser les limites des opinions en cofondant dès 2011 Jet d’Encre, un espace de réflexion et de dialogue dans lequel il anime la rubrique genre. En 2015, il a d’ailleurs consacré son mémoire de master à la géographie du genre, un courant qui étudie le lien de causalité existant entre les territoires ou espaces et le genre des individus. José Tippenhauer a grandi au rythme des instrumentales de rap. Le hip-hop est une philosophie, une culture de la poésie, dans laquelle il s’est découvert puis épanoui un temps sous l’identité de «Geos». S’il a, depuis, tourné son micro pour le tendre aux autres, ce blaze ne le lâche pas pour autant. Il est désormais connu pour animer Nayuno, une émission dédiée aux cultures urbaines et au rap, diffusée depuis 2017 sur Couleur 3. Chaque vendredi, à 20h, le jeune homme profite de cette attention pour offrir de la visibilité aux artistes féminines. Il analyse l’actualité de cet univers bien souvent décrié comme étant patriarcal et tente de bousculer les codes stéréotypés du hip-hop. Si vous ne saviez pas que des femmes excellent aussi dans ce milieu, Nayuno«now you know», maintenant vous savez. Chams Iaz 

Lire aussi: José Tippenhauer, porte-voix


Marion Poitevin, première de cordée

En alpinisme, être à l’origine d’une première ascension est un acte respecté. Mais être première en tête de cordée est encore négligé. Les femmes sont présentes en montagne, mais elles ont tendance à se contenter de suivre un meneur de course. C’est le constat que fait la guide de montagne française Marion Poitevin. Si elle crée en 2018 le groupe Lead the Climb uniquement réservé aux femmes, c’est pour leur offrir une formation poussée encadrée par des professionnelles et leur permettre de s’émanciper en altitude. Pour cette maman de 35 ans, avoir des modèles permet d’évoluer dans sa discipline. Elle en a manqué, même si elle figure aujourd’hui parmi la trentaine de guides françaises à porter le flambeau de l’alpinisme féminin. Marion Poitevin se forme au sein de l’armée. A 23 ans, elle est la première femme du Groupe militaire de haute montagne (GMHM). Sous les drapeaux, elle apprend l’art de gravir les sommets, s’entraîne. Et gagne l’aisance nécessaire pour obtenir son papier de guide. Et en 2016, elle est de nouveau la première à figurer parmi les secouristes des CRS. Voir un milieu alpin mixte est son idéal. Comme voir des hommes participer aux sorties de Lead the Climb. Un bémol, toutefois: «Voudront-ils venir s’ils sont minoritaires?». Caroline Christinaz


Nicolas Gagliarde, enseigner différemment

C'est tout petit déjà que l'on intègre les stéréotypes genrés de petit garçon et de petite fille. Enseignant à l'école primaire publique lausannoise de Montoie (1 et 2P), Nicolas Gagliarde s'est d'abord formé en sociologie de l'éducation et place l'inclusion au cœur de sa classe. «Si je peux transmettre aux enfants que tous les possibles leur sont ouverts, j'espère pouvoir œuvrer, à mon humble niveau, à une société plus égalitaire», souffle-t-il modestement. Pour cela, il a observé et déconstruit la gestuelle, la tonalité de la voix, le choix des mots qui distinguaient leur récepteur ou réceptrice. «La structure du langage charpente la conscience, les idées, le rapport au monde», rappelle-t-il, et tous les jours, l'enseignant opte pour un langage épicène, des exemples et des personnages qui n'enferment pas ses élèves dans des rôles établis. «Lors d'une partie de foot, j'entendais un collègue dire à sa classe que les buts des filles comptaient double. Ca se voulait valorisant mais c'était tout le contraire. J'ai montré à mes élèves des buts magnifiques marqués par des footballeuses, et depuis, certains veulent être elles lorsqu'on joue un match. Avec la langue, on crée beaucoup. Tant des outils de pensée que des différences de niveaux de valeur». Aïna Skjellaug

Lire aussi:  Et toi, que fais-tu pour changer le monde?


Katy Hessel, curatrice 2.0

Louise Bourgeois, immense plasticienne, a dû attendre l’âge de 71 ans pour obtenir – grâce à la première rétrospective de son œuvre en 1982 au MoMA à New York – la consécration qu’elle méritait. Comme elle, nombre d’artistes sont demeurées dans l’ombre de leurs collègues masculins. Mais depuis 2015, la curatrice, essayiste, podcasteuse et historienne de l’art londonienne Katy Hessel, 26 ans, mène avec science et enthousiasme une entreprise de réhabilitation et de célébration des femmes artistes. Pratiquement tous les jours, elle présente à ses 185 000 followers sur son compte Instagram – @thegreatwomenartists – de nouvelles œuvres, anciennes ou contemporaines. Et c’est un continent entier qui se dessine peu à peu. Si certaines rencontres vont de soi – Frida Kahlo, Artemisia Gentileschi ou Leonora Carrington –, d’innombrables artistes moins connues témoignent de la vaste curiosité de Katy Hessel: de la méticuleuse et magique Dominicaine Firelei Baez à la Japonaise Uemura Shoen qui peignit des estampes lumineuses au début du XXe siècle. La ferveur de Katy Hessel fait mouche: le podcast qu’elle a créé, qui donne la parole aux plasticiennes, est salué et elle collabore régulièrement avec la Tate Gallery. Eléonore Sulser


Thomas Messias, explorateur du masculin pluriel

Les études scientifiques mènent à tout… Ce n’est pas Thomas Messias, journaliste et prof de mathématiques, qui vous dira le contraire. En 2018, le Français a l’idée de proposer au média en ligne Slate.fr un podcast qui traiterait des représentations masculines et de genre à travers le prisme de la culture, en particulier du cinéma. Le nom de cette série audio, inspirée de conversations avec sa conjointe? «Mansplaining», contraction de man (homme) et explaining (explication), clin d’œil au concept féministe né dans les années 2010, désignant une situation où un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà sur un ton parfois condescendant. Publié un mercredi sur deux, le podcast propose de disséquer les faits d’actualité avec l’oreille aiguisée d’un homme conscient des enjeux de pouvoir, pour mieux inviter ses auditeurs et auditrices à «s’interroger sur tous ces petits comportements du quotidien que l’on trouve «normaux», mais qui méritent d’être remis en cause». Des jouets genrés aux blagues sexistes, en passant par les personnages masculins supposément romantiques et en réalité problématiques, ce père de trois enfants déconstruit les codes et normes de la masculinité pour mieux reconstruire, tout en nuances et en pluralité. Célia Héron


Djaïli Amadou Amal, romancière engagée

Djaïli Amadou Amal vit aujourd’hui à Douala, mais elle est née, comme les trois héroïnes des Impatientes – le roman qui vient de lui valoir le Prix Goncourt des lycéens – à Maroua au nord du Cameroun, dans une famille peule. Avant de décrocher un prix littéraire en France, elle était déjà une romancière reconnue au Cameroun, mais aussi une militante active qui se bat pour les droits des femmes dans les régions peules. Là-bas, la coutume veut que les jeunes filles se marient très jeunes, se voient imposer un conjoint, soient exhortées à l’obéissance et se retrouvent souvent condamnées à souffrir auprès d’hommes violents et abuseurs. Si elles n’optent pas pour la fugue ou le suicide, elles sont souvent répudiées et se retrouvent sans ressources. C’est la matière des livres de Djaïli Amadou Amal, mais aussi ce qu’elle a connu dans son ancienne vie – elle qui fut fiancée à l’âge de 14 ans –, dont elle s’est échappée à force de ténacité. Depuis, elle écrit et parcourt inlassablement le Sahel pour faire savoir aux jeunes filles, grâce à l’association Femmes du Sahel qu’elle a créée, que la voie que leur impose la coutume n’est pas tracée d’avance et que la liberté est possible. E.Sr

Lire aussi:  L’autrice camerounaise Djaïli Amadou Amal remporte le Goncourt des Lycéens


Laurent Sciamma, humoriste féministe

Qui l’eût cru? Rire de nos débats de société sans condescendance ni paresse intellectuelle est chose possible – et plus important encore, à l’heure où les lignes de fracture ne font que se creuser, c’est un exercice salutaire. Si un humoriste a su saisir l’époque, c’est bien lui: Laurent Sciamma, 36 ans, standuper de banlieue parisienne dont l’engagement pour l’égalité n’a d’égal que l’autodérision. Son one man show, Bonhomme, a été remarqué loin à la ronde, un savant mélange de questionnements liés aux normes viriles inculquées aux garçons depuis l’enfance et de son expérience d’allié féministe. Certes, il a de qui tenir: le trentenaire n’est autre que le petit frère de la célèbre cinéaste Céline Sciamma, très engagée elle aussi. Voilà un «homme, blanc, hétéro, barbu, privilégié», comme il aime à le rappeler, qui n’hésite pas à affirmer que «#MeToo a été l’un des moments les plus importants» de sa vie. Si son point de vue est forcément situé – ce que Laurent Sciamma revendique et même politise – il se sert de cette position pour amener spectateurs (toujours plus nombreux) et spectatrices à réfléchir à la société telle qu’elle a malheureusement été, est encore trop souvent, et pourrait devenir. Célia Héron

Lire aussi:  Marc Münster, l’égalité est aussi une affaire d’homme