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Handicap: une vie amoureuse qui défie les clichés

Vivre une relation épanouie lorsqu’on est handicapé ne va pas toujours de soi. A fortiori lorsqu’on jette son dévolu sur une personne valide, comme en témoignent les couples qui se sont formés selon ce schéma. Quitte à susciter la stupeur, voire la réprobation

Image d'illustration. — ©  StockPlanets
Image d'illustration. — © StockPlanets

Chaque jour, des millions de relations amoureuses se forment et se déforment, au gré des vagues de sentiments. A l’approche de la Saint-Valentin, ces romances sont au cœur du tumulte de la société. Des publicités aux fictions, les couples connaissent leur heure de gloire en ce 14 février devenu légendaire. Mais si ces représentations s’ouvrent enfin aux minorités, comme aux personnes LGBTQIA +ou racisées, une part d’ombre subsiste toujours dans l’équation: le handicap.

Les couples dits «handi-valides», composés de personnes handicapées et valides, sont ainsi généralement écartés de ces célébrations sentimentales. Comme si le droit à l’amour et aux relations sexuelles épanouies leur était refusé. Enfermés malgré eux dans des préjugés persistants qui les réduisent à une simple relation d’aidant et d’aidé, ces duos affrontent ainsi au quotidien le validisme, soit les discriminations envers les personnes handicapées.

Un conjoint digne d’éloges

Aline a rencontré son compagnon il y a déjà plus de quinze ans. Désormais maman d’une petite fille de 2 ans, la trentenaire a souvent fait face à de l’incompréhension, eu égard à son handicap: «Lorsque l’on va à des rendez-vous médicaux avec mon mari, les gens se demandent souvent qui il est: un auxiliaire de vie ou mon conjoint? Il est même déjà arrivé qu’on lui refuse de m’accompagner ou qu’on lui parle à lui plutôt qu’à moi.»

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Avant et pendant sa grossesse, Aline a également dû gérer des inquiétudes extérieures concernant la parentalité dans son couple: «Les gens avaient peur que cela constitue une charge trop lourde pour mon mari, qui doit déjà m’aider au quotidien. Pour eux, le valide n’est rien de plus qu’un infirmier et le réflexe est de le plaindre. Après mon accouchement, c’est lui qui recevait tous les éloges du personnel hospitalier par exemple.»

Ce type de préjugés oppresse ainsi particulièrement les femmes, à qui l’on nie une parentalité et une sexualité normales. «Une femme handicapée défie deux systèmes d’oppression en même temps: le validisme et le patriarcat. Donc cela fait beaucoup», analyse Elisa Rojas, avocate au Barreau de Paris et militante anti-validiste. «De façon générale, on nous refuse la maîtrise de notre vie. Or, la sexualité et la parentalité sont justement des questions qui nous replacent en situation de pouvoir et d’agentivité. Cela correspond à des responsabilités et des choix d’adultes. Et justement, ce statut d’adulte, on nous le refuse.»

On nous voit encore trop souvent comme des êtres asexués

Une vision partagée par Raphaël de Riedmatten, directeur d’Agile.ch, la faîtière de l’entraide handicap en Suisse: «Il y a un regard presque effaré sur le fait qu’une personne handicapée puisse avoir un enfant. C’est la même chose pour la sexualité, puisqu’on nous voit encore trop souvent comme des êtres asexués.» En couple depuis une dizaine d’années avec sa compagne valide, le cinquantenaire regrette «le simple fait que l’on ait besoin d’un qualificatif particulier pour désigner les couples handi-valides. Cela en dit énormément sur le fait que la situation est perçue comme exceptionnelle. Nous voulons juste vivre nos amours au-delà de cette vision réductrice d’aidant-aidé.»

Une relation «sur-mesure»

De leur côté, Adrien et Marine, en couple depuis un an et demi, ont simplement appris à construire leur relation avec le handicap: «On trouve nos propres systèmes, raconte Marine. Par exemple, j’adore l’installer le soir dans son lit, mais je déteste lui brosser les dents (rires). Or, dans l’imaginaire commun, tout acte d’aide devrait être froid. Au contraire, pour nous, c’est rempli d’amour.»

Adrien le confirme: il voit leur relation comme «sur-mesure» mais «pas tellement différente des couples valides». Pour autant, il n’est pas toujours facile d’exister dans la société: «Nous avons voulu commander un lit médicalisé deux places. Mais lorsque ma mère a appelé l’entreprise, la personne ne comprenait pas pourquoi on en avait besoin. Elle a pensé que ma mère dormait avec moi, avant d’envisager que je pouvais avoir une petite amie.»

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Pour Raphaël de Riedmatten, il est important de représenter des modèles positifs dans les médias et les fictions, avec «des couples comme les autres, qui rencontrent les mêmes difficultés, défis ou questionnements.» Aline partage ce constat: «J’ai très souvent eu envie de casser mon écran à cause de ça!» Elle regrette que les personnages handicapés ne soient que trop souvent réduits à des «martyrs, qui bien souvent meurent à la fin ou alors se remettent à marcher par miracle!»

La culture, le nerf de la guerre

Pour Elisa Rojas, ces représentations sont largement dues à la «déshumanisation et à l’infériorisation des personnes handicapées. On ne les caractérise que par leur incapacité ou leur dépendance. Leurs relations de couple sont toujours interprétées sous le prisme de l’aide, du caritatif, de l’effort, et jamais comme un rapport d’échange, d’égalité. Et on pense qu’il est naturel que les personnes handicapées restent entre elles. Donc si une personne valide est impliquée dans le couple, ce n’est pas un choix considéré comme logique.»

Pour l’autrice de l’excellent roman Mister T. & moi (Editions Marabout), le cœur du problème se situe dans ces représentations audiovisuelles et médiatiques: «La vraie difficulté, c’est que les personnes valides ont quasiment le monopole là-dessus. Nous avons besoin de nous réapproprier cela: il faut qu’on nous donne les moyens de produire nos propres œuvres culturelles.»

L’avocate estime également qu’une intégration plus large des personnes handicapées à la société est la clé: «Il est évident que, plus on sera présents dans la sphère publique aux côtés des personnes valides, plus elles pourront constater d’elles-mêmes notre humanité. Si on devient les collègues de travail ou les camarades de classe, il y a des chances qu’on puisse devenir aussi des partenaires amoureux, à égalité.» Aline conclut: «Il faut une vraie politique d’accessibilité: comment fréquenter des personnes handicapées, si notre salle de classe ou notre bar préféré sont au troisième étage sans ascenseur? Tant que cela ne sera pas fait, les clichés subsisteront.»