Santé
Le harcèlement sexuel au travail est une discrimination punie par la loi sur l’égalité (LEg). Il reste pourtant difficile à cerner et à prouver aujourd’hui, car il peut revêtir plusieurs formes différentes

Les chiffres récents concernant le harcèlement sexuel manquent, et ce vide ne devrait pas être comblé avant 2021: une nouvelle étude sur l’ampleur et l’évolution du harcèlement sexuel en Suisse a été mandatée par le Conseil fédéral suite à un postulat du conseiller national Mathias Reynard, adopté en mars 2019. L’étude comprendra également un volet sur le harcèlement sexuel au travail.
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La dernière enquête suisse sur le sujet date de 2008 et indique que 28,3% des femmes et 10% des hommes se sont sentis harcelés sexuellement ou importunés sur l’ensemble de leur vie professionnelle. En France, une étude de l’IFOP réalisée en 2018 montrait qu’une Française sur trois avait été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail.
Mais le harcèlement sexuel reste un objet difficile à saisir, d’autant plus lorsqu’il se produit dans la sphère professionnelle. Alors de quoi parle-t-on exactement? Le Temps a fait le point avec Laetitia Carreras, membre du 2e Observatoire, Centre de compétences en matière de souffrance et de harcèlement au travail basé à Genève.
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Différentes formes
«L’article 4 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) définit très clairement le harcèlement sexuel au travail. Il s’agit d’un comportement discriminatoire importun, à caractère sexuel ou fondé sur l’appartenance sexuelle d’une personne, qui porte atteinte à son intégrité dans le cadre de son travail», résume Laetitia Carreras.
On parle alors de lieu de travail au sens large, soit tous les locaux à l’intérieur ou à l’extérieur qui permettent d’accomplir son activité professionnelle. Mais cela peut se produire en dehors (durant une formation, une fête de fin d’année) et pendant le temps libre (sur le chemin du travail, chez soi, en vacances, durant un congé non payé, etc.). Le critère à prendre en compte est la détérioration des conditions de travail et les conséquences qui rendent l’accomplissement des tâches professionnelles plus difficile pour la personne harcelée. «Deux autres dimensions sont essentielles: d’une part, le ressenti de la victime est déterminant, d’autre part, l’intention de l’auteur n’est pas pertinente», ajoute l’experte.
Cependant, les manifestations du harcèlement sexuel en milieu professionnel sont diverses et ne sont, par conséquent, pas toujours comprises comme relevant de cette discrimination. On différencie ainsi deux catégories: le chantage, sous une forme explicite ou implicite, ainsi que le climat de travail hostile. Ils peuvent s’exprimer:
- De manière non verbale: les regards appuyés, l’étalage de matériel pornographique, de photos intimes, et leur envoi via des réseaux sociaux ou des services de messagerie comme WhatsApp, ce qui entre sous la catégorie du «climat de travail empoisonné».
- De manière verbale: les avances, les propositions déplacées aussi bien que les insultes ou les rumeurs.
- De manière physique: les attouchements, la contrainte sexuelle, le viol.
«Les blagues déplacées, même si elles ne sont pas dirigées contre une personne spécifique, sont constitutives d’un climat de travail hostile, de même pour l’affichage sur son poste de travail de photos de personnes nues ou dénudées, et l’envoi d’e-mails à caractère sexuel, précise Laetitia Carreras. A noter encore qu’un seul acte suffit. «Cela va dépendre de la gravité des faits, mais la notion de répétition est absente de la définition donnée par la LEg.»
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Difficile à prouver
Le harcèlement sexuel au travail représente donc une discrimination et une atteinte à la personnalité. Comme toute autre atteinte à l’intégrité, l’employeur est tenu d’en préserver ses collaborateurs et d’y mettre un terme lorsque cela se produit. Mais en l’absence de témoins, il est bien souvent ardu à prouver. «C’est une parole contre une autre, il est très difficile d’établir les faits, d’autant plus que la parole des victimes continue souvent à être mal ou pas entendue. Les cadres sont souvent insuffisamment formés pour faire face à ces situations. Quant aux enquêtes administratives, elles ne parviennent pas toujours à établir les faits, même si une situation de harcèlement a eu lieu. Il est central d’agir en amont par une directive sur la protection de l’intégrité personnelle claire et connue de tous, la formation des cadres, la sensibilisation du personnel et un dispositif de personne de confiance externe», souligne Laetitia Carreras.
A l’instar d’autres violences sexistes, la victime de harcèlement sexuel voit souvent sa parole mise en doute: ne cherche-t-elle pas à se venger? A-t-elle provoqué? Cherche-t-elle des avantages? «Et pourtant, quand on connaît toutes les difficultés et les représailles qu’elles subissent encore bien trop souvent pour avoir dénoncé une situation de harcèlement, prendre le risque de parler est extrêmement courageux», appuie la spécialiste. D’autant plus que la personne, après avoir osé rompre le silence, risque fort de se retrouver mobbée par les autres membres de l’équipe.
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La culpabilisation
Mais au-delà de la stigmatisation, si les victimes de harcèlement sexuel se murent encore dans le silence, c’est aussi en raison d’un mécanisme de culpabilisation. «Au niveau collectif, la perception demeure que c’est la victime qui est la source du problème. Quant à elle, elle va se demander ce qu’elle a bien pu faire, dire ou quelles limites elle n’a pas su poser. Ces situations génèrent une confusion énorme. On entend en consultation: «Il me frôle les jambes, il cherche des contacts physiques, le fait-il exprès ou pas? Je me raconte des histoires?» Les environnements de travail qui banalisent les attitudes sexistes, les blagues déplacées participent à brouiller les repères», détaille Laetitia Carreras, ajoutant que «la lourdeur des procédures» de dénonciation et leur manque de clarté n’engagent pas toujours à parler.
«Parfois des recadrages très stricts ont été effectués et des sanctions ont été prises par la hiérarchie qui, pour des raisons de confidentialité, ne peut pas communiquer et le sentiment demeure ainsi que rien n’a été fait. Il est essentiel que les auteurs soient sanctionnés et les victimes reconnues pour sortir de l’invisibilité et de l’impunité.»