Aux amateurs de séries télévisées mainstream ou de clips vidéo, nés avant les années 2000, ce livre parlera sans doute. Paru le mois dernier, Féminismes et pop culture (Ed. Stock, 2021), décrit avec finesse la culture de masse comme une arme redoutable d’émancipation. Une thèse d’environ 330 pages, dont la journaliste française Jennifer Padjemi peut se targuer. Car oui: certaines séries télévisées peuvent changer notre regard sur le monde; et non: la télévision n’est pas toujours synonyme de bassesse d’esprit. Voilà quelques-uns des postulats avancés par l’auteure au fil de ses pages.

Au bout du téléphone, de sa voix posée, elle raconte volontiers comment son père aurait préféré la voir «lire le dictionnaire» plutôt que de passer du temps, trop de temps, devant la télévision. Mais elle n’oublie pas de rappeler que lorsque, encore jeune étudiante, elle avait proposé de consacrer son mémoire d’étude à cette thématique, ses velléités avaient été balayées d’un revers de main. «Dans les filières en sciences humaines, parler de pop culture paraissait superficiel. En dix ans, il s’est passé plein de choses, cette culture fait désormais partie de nos vies et nous influence bien plus que ce que l’on ne pouvait imaginer», analyse-t-elle.

Curieuse et audacieuse

Fort heureusement, Jennifer n’est pas revancharde et ne considère guère ce livre comme un pied de nez, plutôt comme une «déclaration». Pour en finir avec cette culture des élites qui édictent des règles selon lesquelles il existerait une bonne et une mauvaise éducation.

«Je trouve dommage que toutes les deux semaines, un écrivain décide de mépriser Netflix ou de dire que cette plateforme tue le cinéma français. Je m’aperçois que les jeunes générations apprennent plus vite que nous grâce à cette culture populaire. Je suis souvent agréablement surprise d’entendre des lycéens qui font référence aux séries pour parler de consentement ou de racisme», lance-t-elle. 

Née peu de temps avant les années 1990, Jennifer Padjemi évolue dans un milieu populaire avec un capital culturel correct. Ses parents, originaires d’Afrique de l’Ouest, conçoivent l’école comme le corollaire de l’indépendance. Spécialisée en histoire de l’art, elle pensait devenir critique d’art. Passionnée d’écriture, elle oriente finalement son cursus universitaire vers l’information et la communication avant de se former au journalisme lors d’un échange Erasmus à Madrid.

Un parcours atypique

Son parcours atypique, loin des grandes écoles reconnues par la profession, lui permet d’affirmer fièrement sa singularité. «Il peut y avoir dans ces grandes écoles une espèce de formatage, une certaine méthode qui permet moins d’audace et de variation des plaisirs, résume-t-elle. Mon parcours plus culturel et artistique m’a permis d’allier l’information et l’écriture à quelque chose de plus didactique et de plus analytique.»

Ses premiers stages en entreprise confirment sa vocation. Elle fera ses premières armes en 2015 chez BuzzFeed avant de devenir indépendante. Le microcosme journalistique la renverra très souvent à sa condition de femme noire minoritaire. Avec Jennifer, la référence de la pop culture n’est jamais bien loin, comme lorsqu’elle décrit son assimilation à un personnage de série. Celui de la docteure Miranda Bailey, dans la série Grey’s Anatomy. Une femme noire réputée pour son caractère tyrannique et intransigeant.

C’est ainsi que la journaliste analyse les tropes narratifs, ces images récurrentes que l’on retrouve dans les films et dans les séries bien connues de l’imaginaire collectif et loin d’être anodines. Comme celui de l’angry black woman, ou le fait que lorsque les femmes noires sont représentées à l’écran, elles le sont trop souvent à travers ce prisme de la colère et de l’agressivité.

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«Je me suis identifiée au personnage de Bailey, car je sais ce que cela représente que d’être dans des milieux où l’on n’est pas majoritaire. Il y a une identité qu’on nous assigne et qui est plus présente dans le regard de l’autre que dans nos propres yeux. Les tropes sont souvent utilisés pour mettre les femmes noires dans des cases.»

Santé mentale

La question de la représentation a toujours été centrale dans la réflexion de Jennifer. C’est sans doute cela qui la pousse à lancer le podcast Miroir miroir en 2018. Celui-ci déconstruit les standards de beauté imposés dans nos sociétés. «Nul besoin d’avoir un nez aquilin, d’être grande, svelte et blonde pour être belle», assène-t-elle. Elle co-lance aussi la même année la newsletter What’s Good avec la journaliste Mélody Thomas. Un condensé de nouveautés culturelles personnelles et inclusives. «J’écris pour avoir une forme de proximité avec des gens que je ne connais pas. C’est important, et les newsletters permettent cela», précise-t-elle.

Avec Jennifer, rien ne semble vraiment tabou. Comme lorsqu’elle se confie sur sa propre dépression et sur l’importance de parler de santé mentale. Dans ce domaine-là, les personnes noires sont aussi invisibilisées, ce qui ne la poussera que trop tardivement à sa première consultation chez un psy. Issue d’un milieu où la résilience règne et où les prières doivent panser les maux de cœur et de l’esprit, c’est la série Insecure qui la décomplexera. Car oui, la pop culture peut, pour le meilleur, s’imposer comme une voie de guérison.


Profil

1988 Naissance au Togo.

2008 Echange Erasmus à Madrid, formation en journalisme.

2015 Début chez BuzzFeed.

2018 Lancement du podcast «Miroir miroir».

2021 Parution de son premier livre, «Féminismes et pop culture».


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