La détermination. C’est un des sentiments qui jaillit cet après-midi où Joëlle Payom passe la porte de la rédaction du Temps. Vêtue de sa longue doudoune aux couleurs vives, l’entrepreneuse a le sens du style. Elle a fondé l’année passée l’association Rezalliance (contraction de «résilience» et «alliance»), un projet visant à renforcer l’inclusion dans le monde du travail via un accompagnement face au problème du harcèlement et à la discrimination en entreprise. «Rezalliance est un écosystème qui donne la possibilité à chaque être humain de pouvoir s’épanouir dans un environnement professionnel», résume Joëlle.

La démarche s’adresse aussi bien aux employés – à travers l’accompagnement de victimes de mobbing au travail grâce à du soutien psychologique, du coaching ou encore du conseil juridique – qu’aux employeurs, à travers des ateliers et des formations pour la transmission d’une culture plus inclusive.

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Un projet qui fait écho à sa carrière et à son expérience personnelle. Nommée à un poste important au sein d’un groupe international basé à Genève, Joëlle y subit du mobbing et du harcèlement. De la simple remarque sur sa coupe de cheveux aux injonctions sexistes en réunion, jusqu’au «tu parles bien l’anglais pour une Africaine», l’entrepreneuse revient douloureusement sur ces moments qui la conduiront, entre autres, jusqu’à la dépression.

Une identité qui dérange

Son identité de femme noire semble déranger. Bien qu’extrêmement qualifiée et compétente, Joëlle est systématiquement rangée dans une case: celle de l’agressivité. Elle sera licenciée lors de son arrêt maladie, au terme de plusieurs années de calvaire.

Hors de question toutefois, pour elle, de se résigner, une combativité sans doute liée à son parcours de vie. Née au Cameroun peu de temps avant les années 1980, Joëlle évolue dans une classe sociale où l’instruction est importante, avant d’émigrer en France avec sa famille. Son père, diplomate, décide de retourner au pays après que son mandat n’a pas été renouvelé. La jeune Joëlle envisage alors ses études comme un fort moyen d’émancipation. Elle commence les lettres étrangères appliquées après l’obtention de son baccalauréat, puis passe une année en Allemagne, où elle se spécialise dans le business avant d’intégrer une grande école de commerce.

IBM, Air France: Joëlle fait ses premières armes au sein de grandes entreprises avant de quitter sa vie parisienne pour Genève. Le travail occupe alors une place centrale dans sa vie, sa situation lui permet de devenir un véritable pilier pour sa famille. «Je viens d’un peuple où l’on m’a appris que mon travail était mon premier mari», lance-t-elle. «Quand je suis arrivée en Suisse, j’aidais énormément ma famille, un peu comme si j’avais pris la place de mon père», reconnaît-elle.

Peu de temps après son licenciement, après plusieurs années professionnelles cabossées, Joëlle doit se reconstruire. Fort heureusement, cette dernière n’est pas du genre à baisser les bras. «La lecture m’a beaucoup aidée», se souvient-elle. Un ouvrage, Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien (Ed. La Découverte), écrit par la psychiatre française Marie-France Hirigoyen, sera salutaire. «Ce livre a été un déclic pour moi et m’a permis de sortir de ma dépression.»

Joëlle doit alors reprendre une activité professionnelle. Elle crée à la fin de 2019 le groupe de réflexion Value Creation thru Inclusion (VCI), qui pense l’inclusion comme un état d’esprit à mettre en place dans toutes les pratiques commerciales afin d’en saisir la valeur globale en tant que facteur clé de succès pour une rentabilité durable.

Un axiome clair

En mars 2020, juste avant le premier confinement, elle décide de suivre une formation en création d’entreprises. Elle y rencontre Luana Roberto, une avocate qui la soutiendra dans le projet Rezalliance, aujourd’hui membre du bureau consultatif de l’association. Joëlle questionne la non-inclusion, et le sentiment ne pas pouvoir exprimer son identité comme on l’entend. Pourquoi la différence pose-t-elle problème, pourquoi représente-t-elle un danger pour certaines personnes?

Son approche est intersectionnelle. Il faut remettre l’humain au centre de la réflexion et reconnaître les spécificités de chaque individu, qu’elles soient liées à l’âge, au genre, à l’orientation sexuelle, à l’origine ou encore à l’état de santé, tout en trouvant des synergies communes. «Il faut capitaliser sur ce qui nous unit», assure-t-elle. «Cette notion d’inclusion doit sortir des ressources humaines pour être réellement injectée dans l’ADN des entreprises», détaille l’entrepreneuse, qui plaide pour un changement de paradigme. Son axiome est clair: il y a de la place pour chacun et chacune d’entre nous au sein de la société.


Profil

1978 Naissance au Cameroun.

1990 Arrivée à Paris.

2009 Arrivée en Suisse.

2018 Dépression à la suite du harcèlement et de la discrimination subis au sein de son entreprise.

2020 Renouveau. Lancement du projet Rezalliance.


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