Portrait
Après une thèse sur l’horloge circadienne, l’ingénieure, Belge de naissance et Suisse de cœur, a intégré la prestigieuse Université Stanford où elle étudie la menstruation

Elle doit avoir du mal à s’en lasser. De son appartement, Laura Symul n’a qu’à remonter une des fameuses rues pentues de San Francisco pour s’offrir une vue spectaculaire sur les gratte-ciel de la ville [ce portrait a été réalisé avant le déclenchement des incendies en Californie]. La baie et le Bay Bridge ne sont pas très loin non plus. «C’est ce que j’ai trouvé de plus ressemblant avec le lac Léman», s’amuse-t-elle. Car Laura a laissé la Suisse à 9000 kilomètres il y a deux ans et demi.
Le campus de Stanford et la Silicon Valley remplacent l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et le canton de Vaud. Enfin, depuis six mois, coronavirus oblige, le campus se résume surtout à sa chambre au cœur d’une région qui constitue une usine à start-up. «On n’aurait pas pu répondre à cette pandémie comme on l’a fait sans les nouvelles technologies, remarque-t-elle. Le travail à distance par exemple. Rien que cela a permis de limiter le nombre de morts.»
La Suisse a quelque chose d’incroyable. Il y a un pragmatisme qui n’existe pas dans la Silicon Valley. Il n’y a pas le «bullshit» qu’on trouve ici. Ça rend la lecture du paysage plus simple»
Ces nouvelles technologies sont justement au cœur de ses recherches sur la menstruation. Des graphiques plein l’écran de son ordinateur, la chercheuse à la silhouette de brindille passe ses journées à décortiquer les millions de données fournies par Sympto et Kindara, deux applications mobiles permettant à leurs utilisatrices de tracer leur fertilité.
Un tabou
«Même maintenant, beaucoup de femmes n’aiment pas dire quand elles ont leurs règles. Oui, il y a un tabou, mais pas forcément du fait des femmes. La plupart des religions monothéistes n’ont pas un rapport très sain à la menstruation», précise la native de Liège. Alors Sympto et Kindara lui donnent accès à des informations – saignement, fréquence des rapports sexuels, sécrétion vaginale… – difficiles à obtenir autrement à cette échelle.
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En juillet 2019, la scientifique a publié, en partenariat avec des chercheurs de l’EPFL, un article remarqué dans la revue Nature. L’équipe a analysé 2,7 millions de cycles menstruels chez 200 000 utilisatrices. Un travail colossal et un exemple de biologie computationnelle, sa spécialité. Laura porte son regard d’ingénieure sur un sujet longtemps chasse gardée des seuls médecins. Un domaine de recherche délaissé et sous-financé alors que, comme elle l’a rappelé lors d’une conférence, les règles jouent «un rôle crucial dans la survie de notre espèce».
La jeune chercheuse l’admet volontiers, les cycles la fascinent. Avant de s’attaquer au rythme des règles, c’est l’horloge circadienne – le cycle biologique interne de 24 heures – qu’elle décomposait à l’Université de Liège puis à l’EPFL pour son master. Un établissement rejoint presque «par hasard» en Erasmus. La Belge se sent désormais «comme à la maison» en Suisse. L’EPFL reste «une des meilleures choses qui me soient arrivées», lâche-t-elle dans un sourire que l’on devine derrière son masque.
«Je n’ai plus voulu repartir. J’étais vraiment plus dans mon élément qu’à Liège. Déjà au niveau de la mentalité, j’ai trouvé une vision de l’ingénierie qui correspondait plus à ce que j’imaginais, plus créative on va dire. J’ai trouvé un environnement que j’aimais beaucoup, donc j’ai voulu rester pour ma thèse», raconte-t-elle.
Après quatre ans dans le privé, notamment au World Economic Forum, elle revient à l’EPFL «pour remettre le pied à l’étrier» aux côtés de Marcel Salathé, spécialiste de l’épidémiologie digitale, qui a participé au développement de l’application SwissCovid. Un pas de plus vers l’aventure californienne. A Stanford, elle collabore avec une autre sommité du monde scientifique, Susan Holmes, experte en statistiques. «C’est un département avec des superstars du domaine. Un tas de méthodes très connues y ont été développées. Il y a une histoire et ça rend humble de voir comment la science se développe là-bas», confesse Laura.
Le rêve des Alpes
Pourtant, l’Amérique ne l’a pas conquise. Il y a bien les grands espaces ou les réputés murs d’escalade de Stanford dont cette grimpeuse invétérée a largement profité. Mais l’Europe lui manque. Elle envisage un retour si possible dès l’an prochain, du côté des Alpes idéalement. Avec le rêve ultime de diriger son propre laboratoire.
«La Suisse a quelque chose d’incroyable. Il y a un pragmatisme qui n’existe pas dans la Silicon Valley. Il n’y a pas le bullshit qu’on trouve ici. Ça rend la lecture du paysage plus simple. Et grâce à cette culture très pragmatique, on peut faire confiance aux gens rapidement. C’est vraiment quelque chose qui, je pense, contribue à l’innovation.»
En attendant de retrouver un jour son pays d’adoption, Laura Symul garde forcément un œil sur la crise sociale traversée par son pays de résidence. Selon elle, la technologie a aidé à affronter une crise sanitaire. Peut-elle aussi œuvrer en faveur de la justice sociale? Plus délicat. «Le racisme comme le sexisme volent du temps» à leurs victimes, souligne Laura. «Elles doivent se reconstruire après un traumatisme, comprendre pourquoi ça leur est arrivé. Elles pourraient consacrer ce temps à autre chose.» Limiter le temps perdu par les victimes à soigner leur trauma, sacré défi.
Profil
1986 Naissance à Liège.
2009 Entre à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.
2014 Se lance dans le secteur privé.
2018 Rejoint l'Université Stanford.
2019 Parution de l’article «Assessment of menstrual health status and evolution through mobile apps for fertility awareness» dans la revue «Nature».
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