Société
En marge du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous avons suivi, au cœur du Valais, un cours de prévention auprès des adolescents du cycle d’orientation. Immersion

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Ils paraissent un peu gênés même s’ils ne l’avouent pas. Elles sont appliquées. Ils veulent que leur amoureuse ait les cheveux longs, qu’elle soit fidèle, affectueuse ou qu’elle ait du caractère. Elles veulent que lui soit à l’écoute, beau, respectueux ou «bon délire». Non, ces jeunes de 14 à 15 ans ne sont pas en train de passer commande au Père Noël pour trouver l’âme sœur. Le conte de fées est bien loin. L’amour, lui, est proche. Il est central, même.
Nous sommes au cycle d’orientation de Fully-Saxon, en plaine valaisanne. Assis en classe, les yeux encore fatigués par la pénombre d’un lundi matin brumeux, les élèves entrent en douceur dans une réalité pourtant sombre. Aujourd’hui, on vient leur parler de violences au sein du couple. Anne Remy Tritz et Laurent Guérin, leurs «professeurs» d’une matinée, sont intervenants pour les centres SIPE (Sexualité, Information, Prévention, Education). Il est policier, elle est éducatrice en santé sexuelle. Ensemble, ils présentent, en quatre périodes de cours, le programme «Sortir ensemble et se respecter». Ce dernier vise à prévenir les comportements abusifs dans les relations amoureuses des jeunes. Il s’inscrit ainsi on ne peut mieux dans le cadre de ce 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
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Savoir ce que l’on veut, la base
Retour aux listes de souhaits. «Qu’est-ce qui est important pour vous dans une relation? Qu’imaginez-vous que les autres pensent vouloir dans une relation?» Les questions sont capitales. Savoir ce que l’on veut, c’est savoir ce que l’on ne veut pas, comprend-on en écoutant Anne Remy Tritz. Séparés en deux groupes – les filles d’un côté, les garçons de l’autre – les jeunes creusent, rient, notent. «Les filles veulent quand même un gars qui a un peu d’argent…», assure un adolescent. Quelques clichés pointent. Les intervenants ont prévu le coup. Vite, un éclairage sur les préjugés et les stéréotypes de genre.
«C’est le moment de casser l’ambiance», lance en substance Laurent Guérin. Sur le tableau blanc, des chiffres noirs. Coups de poing. «Plus de 19 700 interventions policières ont eu lieu en Suisse en 2019 pour de la violence domestique. Dix mille infractions concernent les relations de couple.» Et ça continue. «Une étude à Neuchâtel montre que 60% des jeunes en couple de 15 à 16 ans se disent victimes de violence. Une moyenne de 1 sur 2 (filles et garçons) estime être contrôlé-e par son ou sa partenaire.» La classe semble prendre conscience que la violence dépasse les coups et les viols. Qu’elle peut s’immiscer dans les têtes, dans les smartphones, dans les mots.
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Connaître ce qui est abusif
Justement, comment définir – et donc reconnaître – les abus? C’est l’exercice suivant. Sur des fiches en plastique, deux scénarios. L’un implique un amour entre deux hommes, signe que l’inclusivité LGBTQIA + a sa place dans le cours. Les élèves tentent de différencier les comportements abusifs de ceux qui font «mal au cœur». Parfois, la violence semble s’enchevêtrer à l’amour.
Tout est très concret. La classe se lève. Laurent Guérin et Anne Remy Tritz ont affiché des feux de signalisation dans trois zones de la salle: rouge, orange, vert. Les élèves, confrontés à des situations précises pouvant survenir en couple, sont invités à se laisser guider par leur ressenti et à se déplacer devant le feu qui y correspond. Le but? Détecter les signaux d’alarme de la violence, le rouge étant le plus inquiétant. «Il se moque souvent de moi», «J’ai régulièrement peur de ses réactions quand je fais passer ma famille avant lui ou elle»… Les adolescents se déplacent et découvrent leur propre curseur interne. Ils apprendront aussi que le curseur externe colore l’alerte en rouge quand il y a contrainte, violence physique ou verbale, contrôle, isolement, répétition et dévalorisation. A travers un film de prévention, ils se demandent également comment aider des amis victimes ou auteurs de comportements abusifs.
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Le «cycle» vicieux de la violence domestique
Tout à coup, sur le tableau, le «cycle de la violence domestique» apparaît. Un moment clé du programme. Laurent Guérin déchiffre en écrivant: «Il y a les coups physiques. «Boum.» Puis une phase de pardon et de justification où l’auteur s’excuse. Ensuite, tout va de nouveau bien, on s’aime. Puis la tension remonte et les coups reviennent. Le meilleur moyen d’éviter que le cycle continue, c’est de dire stop avant le «boum». Le policier lâche aussi: «Statistiquement, vous avez vécu ça. De près ou de loin. Votre entourage peut être concerné.» Et le chiffre insupportable tombe: une femme meurt toutes les deux semaines en Suisse. «Ah ouais?!» réagit un élève, sidéré. Le cours s’achève par un module visiblement très instructif sur l’échange de nudes sur les réseaux (ces photos ou vidéos à caractère sexuel ou intime).
La sonnerie retentit. Avant de courir prendre leur bus ou d’engloutir leur dîner, quelques élèves partagent leur ressenti avec nous. Capucine avoue que sa façon de voir les relations a changé avec le cours, «mais positivement»: «Je vais essayer de ne pas faire de mal et de ne pas en être victime non plus.» Pour sa camarade Amélie, les statistiques annoncées ont été «un choc»: «C’est beaucoup plus que ce que je pensais. Ça me perturbe de devoir assimiler cette information. Ce cours m’a aidée à savoir ce que dit la loi, où sont mes limites, où est l’abus et que faire si cela arrive.» Finalement, tous ces jeunes Valaisans ont-ils encore envie de tomber amoureux? Ils nous disent que oui. L’amour sain est sauf.
Obligatoire en Valais et dans le Jura
Le programme de prévention «Sortir ensemble et se respecter» s’inspire du projet américain «Safe Dates». Radix, Fondation suisse pour la santé, gère son implantation dans les cantons. Il est désormais obligatoire en Valais et dans le Jura, où tous les élèves des cycles d’orientation le suivent. Les autres cantons romands proposent tous des sessions.
Concerné-e-s par les violences domestiques?
Le site de l’Aide aux victimes en Suisse
Le site de la DAO, l’organisation faîtière des maisons d’accueil
Pour aller plus loin
Le podcast «Poussière» de l’association Violence Que faire, qui mêle des témoignages de victimes à des apports d’expert-e-s.