L'Espagne se dote d'un «congé menstruel» inédit en Europe
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Le parlement espagnol a adopté jeudi une loi créant un «congé menstruel» en cas de règles douloureuses, un dispositif encore inédit en Europe. Il a également adopté des mesures visant à faciliter l'accès à l'avortement

Les députés espagnols ont voté définitivement jeudi une loi créant un «congé menstruel» pour les femmes souffrant de règles douloureuses, une mesure inédite en Europe destinée, selon le gouvernement de gauche, à briser un tabou. «C’est un jour historique pour les avancées féministes», a lancé sur Twitter la ministre de l’Egalité Irene Montero, membre de la formation de gauche radicale Podemos, alliée des socialistes au sein de l’exécutif. Adopté par 185 voix favorables, 154 contre et 3 abstentions, ce texte fait de l’Espagne le premier pays en Europe et l’un des rares dans le monde à intégrer cette mesure dans sa législation, à l’instar notamment du Japon, de l’Indonésie ou de la Zambie.
Avec cette loi, «l’arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes» liées, par exemple, «à des pathologies comme l’endométriose» sera «reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire» de travail. «Il s’agit d’accorder à cette situation pathologique une régulation adaptée afin d’éliminer tout biais négatif» pour les femmes «dans le monde du travail», ajoute le texte. Aucune précision ne figure dans la loi sur la durée de cet arrêt maladie, qui devra être accordé par un médecin et sera financé par la Sécurité sociale.
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Ce «congé menstruel» a toutefois suscité des réticences au sein de l’aile socialiste du gouvernement et a même été critiqué par le syndicat UGT. Cette centrale syndicale d’obédience socialiste, l’une des deux plus grandes du pays, s’est notamment inquiétée d’un possible frein à l’embauche des femmes de la part d’employeurs voulant éviter ces absences. Pour sa part, le Parti Populaire (PP, conservateur), principale formation de l’opposition de droite, a mis en garde contre un risque de «marginalisation» et de «stigmatisation», et contre les «conséquences négatives sur le marché du travail» pour les femmes.
Renforcer l’accès à l’avortement
Ce «congé menstruel» est l’une des mesures phares d’un projet de loi beaucoup plus large visant à renforcer l’accès à l’avortement dans les hôpitaux publics, qui pratiquent moins de 15% des IVG dans le pays, en raison notamment d’une objection de conscience massive des médecins. A cause de cette situation, et aussi de l’absence de clinique spécialisée à proximité, des femmes doivent parfois parcourir des centaines de kilomètres pour pouvoir avorter.
Cette loi va également permettre aux mineures d’avorter sans l’autorisation de leurs parents à 16 et 17 ans en revenant sur une obligation instaurée en 2015 par un gouvernement conservateur. L’avortement a été dépénalisé en Espagne en 1985, puis légalisé en 2010, mais l’IVG reste un droit semé d’embûches dans ce pays de tradition catholique.
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La loi adoptée jeudi prévoit aussi un renforcement de l’éducation sexuelle dans les écoles, ainsi que la distribution gratuite de moyens contraceptifs ou de produits d’hygiène menstruelle dans les lycées. L’Espagne est un pays considéré comme une référence en matière de droits des femmes en Europe, notamment depuis l’adoption en 2004 d’une loi sur les violences de genre. Se revendiquant féministe, le gouvernement Sanchez compte plus de femmes que d’hommes.
Le «congé menstruel», un droit encore rare dans le monde
Une nouvelle loi en Espagne et une poignée de dispositifs ailleurs, principalement en Asie: le «congé menstruel» pour les femmes souffrant de règles douloureuses, est un droit encore rare dans le monde.
• Au Japon: un droit acquis en 1947 mais peu exercé
Au Japon, le droit au congé menstruel est inscrit dans la loi depuis 1947: les entreprises ne peuvent forcer une employée à travailler si elle demande à être en «congé menstruel». Il n’y a pas de limite au nombre de jours qui peuvent être pris pour ce type de congés mais ils ne sont généralement pas payés. Quelque 30% des entreprises proposent de rembourser entièrement ou partiellement ces congés périodiques, selon une étude du ministère japonais du Travail, réalisée en 2020 sur 6000 entreprises. Cette enquête avait alors établi que seulement 0,9% des employées éligibles déclaraient avoir pris des congés menstruels.
• En Corée du Sud: un jour non payé par mois
En Corée du Sud, les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, qui n’est pas payé. Les entreprises qui ne respectent pas la loi sont passibles d’une amende de 5 millions de wons, soit environ 3750 euros. Selon un sondage effectué en 2018, 19% des employées déclarent utiliser le droit au congé menstruel.
• A Taïwan: trois jours à moitié remboursés par an
Taïwan reconnaît également le droit au congé menstruel pour les employées dans la limite d’un jour par mois et d’un total de trois jours par an. Il reste toutefois possible pour les salariées de bénéficier de plus de jours de congé menstruels, mais ils sont alors comptabilisés comme des jours de congé maladie normaux. Les congés menstruels sont remboursés, tout comme les congés maladie, comme des demi-journées travaillées.
• En Indonésie: un à deux jours payés par mois
En Indonésie, une loi adoptée en 2003 prévoit un ou deux jours de congés payés en début de cycle menstruel, en cas de règles douloureuses. La loi oblige seulement les employées à notifier à leurs employeurs la date de prise de ces congés. Mais la mise en œuvre dans le détail est laissée aux entreprises et à leurs salariés. Dans la pratique, beaucoup d’entreprises n’autorisent qu’un seul jour de congé menstruel, ou même aucun, en choisissant d’ignorer la loi.
• En Zambie: un jour par mois
Pays d’Afrique australe, la Zambie a adopté en 2015 une loi accordant aux femmes le droit à un congé menstruel qui leur permet de prendre un jour de congé supplémentaire par mois, sans préavis ni certificat médical en cas de règles douloureuses. Surnommé dans le pays «fête des mères», le congé menstruel est généralement accepté mais certains employeurs restent réticents et demandent par exemple que les femmes donnent un préavis.
«Certaines entreprises ne veulent même pas entendre parler du fait que leurs employées ont droit à la «fête des mères»», selon Ruth Kanyanga Kamwi, spécialiste en communication et militante féministe. Mais grâce aux syndicats, les salariées sont de plus en plus nombreuses à exercer leur droit.
• Ailleurs dans le monde, une possibilité offerte par certains employeurs
Plusieurs entreprises à travers le monde offrent la possibilité à leurs employées de prendre des «congés règles». Par exemple, le fonds de pension australien Future Super, l’entreprise de livraison indienne Zomato ou le fabricant français de mobilier Louis Design proposent six, dix ou 12 jours de congés payés supplémentaires par an à leurs employées souffrant de règles douloureuses. Le mouvement est récent et des syndicats, notamment en Australie, militent pour la généralisation de ce type de droit dans les entreprises. En France, le Parti Socialiste (PS) qui avait inscrit le congé menstruel dans son programme pour les présidentielles de 2022, offre depuis fin 2022 un jour de congé menstruel aux salariées de son siège.