Melody Diana, entrepreneuse et féministe inclassable
Portrait
Enfant, les inégalités entre les sexes la frustraient. Adulte, elle crée des distributeurs de protections hygiéniques gratuites. Mais attention à ne pas la mettre dans une case. L’entrepreneuse a plus d’un tour dans son sac

Elle était surnommée «le MLF» – comme le Mouvement de libération des femmes – par son paternel durant son enfance. Aujourd’hui, elle propose des distributeurs de protections hygiéniques gratuites. Melody Diana a toujours eu cette petite flamme en elle, lui imposant ce constat: «Les inégalités entre les sexes que je vois au quotidien ne sont pas une chose normale.»
D’abord au sein de sa famille, dans laquelle cette fan des Spice Girls de l’époque était spectatrice du farniente un peu trop abusif de son père quant aux tâches ménagères. Plus tard, le harcèlement sexuel à l’école ne l’a pas épargnée. «Les mecs de notre classe nous touchaient les seins, les profs nous faisaient des remarques… J’étais hyper-énervée, mais je pensais que c’était normal.»
Née féministe? Non. La jeune femme, qui – ça ne s’invente pas – a vu le jour un 8 mars, date anniversaire de la Journée internationale des droits des femmes, ne le prétendrait pas. C’est surtout le mouvement #MeToo, particulièrement connu depuis octobre 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, des années après ses premières frustrations, qui lui aura permis de mettre des mots sur ce qu’elle ressentait. A force d’expériences, si elle n’est effectivement pas née féministe, elle l’est, in fine, devenue.
Adieu la zone de confort
Aujourd’hui, Melody Diana ose s’affirmer, se lancer dans de nouveaux projets. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. «Métro-boulot-dodo» a été l’adage qui aura tout fait basculer, il y a dix ans. Pour fuir la routine et commencer une nouvelle vie, elle a tout plaqué: son travail d’assistante sociale, son appartement et son compagnon de longue date. La suite? Aller suivre le Cours Florent à Paris. Bien qu’elle ne soit pas devenue comédienne, les trois ans qu’elle y passera auront définitivement marqué sa vie. «J’ai enfin assumé mon côté artiste et osé me lancer dans de nouvelles expériences», explique-t-elle. Le coup de pouce qu’il lui fallait.
Du haut de ses 34 ans, la jeune femme est aujourd’hui coach professionnelle à mi-temps et cheffe de deux entreprises à ses heures perdues. L’une propose des nounous pour les petits, l’autre du nettoyage écologique à domicile, pour laquelle elle fabrique ses propres produits, dans sa cuisine. Mais ce n’est pas tout. Parallèlement, elle s’occupe de son blog de lifestyle, s’attelle à l’écriture d’un roman, et, dernièrement, au lancement d’une troisième entreprise, Lili Period, dont une des activités consiste à installer des distributeurs de protections périodiques gratuites au sein des écoles.
Cette idée lui est venue il y a trois ans. «J’étais sur une aire d’autoroute, direction le Tessin, se remémore-t-elle. Dans les toilettes, il y avait un distributeur de préservatifs, mais pas de protections périodiques. Je me suis dit que cela aurait été beaucoup plus pratique s’il y avait eu des tampons et des serviettes. J’ai fait un business plan et j’ai pris contact avec des entreprises pour créer le prototype.» Le produit final? Une boîte métallique de taille moyenne, remplie de tampons et serviettes hygiéniques bios, le tout mis gratuitement à disposition par les entreprises qui auront acheté le distributeur.
Lutte contre la précarité menstruelle: une vague de distributeurs de protections périodiques arrive dans les institutions scolaires vaudoises. Le Canton indique que 52 établissements en auront installé d'ici début 2022. La @HEPVaud a pris les devants. pic.twitter.com/WhGo2HsK2A
— Nora Foti (@FotiNora) September 2, 2021
Et là… jackpot! En juin dernier, le canton de Vaud annonçait sa volonté de munir une cinquantaine d’établissements scolaires vaudois de protections hygiéniques d’ici à la fin de l’année. Au même moment, l’entreprise de Melody Diana, sélectionnée par le même projet pilote de l’Etat de Vaud, faisait installer ses premiers produits dans les sanitaires de la Haute Ecole pédagogique (HEP).
Dans l’air du temps
De la chance, mais pas seulement. Ses idées sont compatibles avec l’air du temps. Car Lili Period, ce n’est pas qu’une entreprise, c’est aussi un projet égalitaire, assure l’entrepreneuse, qui a pour objectif de reverser une partie de ses bénéfices à des associations luttant contre la précarité menstruelle ou qui aident les femmes victimes de violences sexuelles et systémiques.
Melody Diana n’en est d’ailleurs pas à son premier projet politiquement engagé. Elle est la cocréatrice d’un podcast reprenant des problématiques féministes. Intitulé Lausanne New York, elle l’a lancé cette année sur un coup de tête avec sa copine Amy, rencontrée via son blog de lifestyle. Derrière cette apparente spontanéité, la Neuchâteloise d’origine critique son introversion. «Il est plus simple pour moi d’être devant un ordinateur que de parler. Et cela peut poser des problèmes lorsqu’on se lance dans une entreprise», avoue-t-elle.
Qu'elle soit timide ou pas, ses idées séduisent. Pour preuve, rendez-vous dans les toilettes de la HEP Vaud, où des petits mots de remerciements ont fleuri sur les distributeurs Lili Period fraîchement installés.
Profil
1987 Naissance dans le Val-de-Travers (NE).
2009 Termine son bachelor en sciences sociales à l’Université de Lausanne.
2011 Rejoint le Cours Florent à Paris.
2018 Devient job coach et fonde la société Ma Nanny.
2020 Démarre avec une société de nettoyage écologique ainsi qu’avec l’entreprise Lili Period.
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