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«On ne lâche rien»: ces initiatives nées de la grève des femmes

Cafés-débats, espaces de parole bienveillants, éducation à l’égalité, podcasts… La grève du 14 juin 2019 a laissé des traces, avec l’émergence de nombreux projets dans chaque canton: petit florilège d’actions féministes

Odette Vetter (à dr.) sur la scène du Nouveau Monde à Fribourg, invitée par Vanessa Cojocaru (à g.) dans le cadre de son projet Tea Room, né après le 14 juin 2019: des événements publics pour faire parler une femme de son parcours extraordinaire, ensuite rediffusés en podcasts. — © Julien James Auzan
Odette Vetter (à dr.) sur la scène du Nouveau Monde à Fribourg, invitée par Vanessa Cojocaru (à g.) dans le cadre de son projet Tea Room, né après le 14 juin 2019: des événements publics pour faire parler une femme de son parcours extraordinaire, ensuite rediffusés en podcasts. — © Julien James Auzan

La lutte pour l’égalité s’apparente à une course de fond. Les revendications du 14 juin 2020 sont, à quelques détails près, identiques à celles de l’année précédente. Toutefois, la mobilisation d’hier n’a pas été sans laisser de traces: à l’image d’une aiguille à coudre, elle s’est enfoncée à un point précis et a fixé du même coup un bout de fil dans l’ouvrage. Sur ce fil, on trouve de nombreux projets qui ont émergé et se sont maintenus tout au long de l’année, s’adaptant parfois au confinement, pour que l’égalité ne soit pas qu’une histoire de dates.

Libre parole

A Neuchâtel, la déception de n’avoir qu’une seule élue aux Chambres fédérales a donné l’élan nécessaire pour l’instauration de «cafés féministes du mardi». «Un certain nombre d’élus ont fait des promesses de campagne et ont pu profiter de la vague violette. On s’est dit que ce n’était pas tout, il fallait savoir ce que ces personnes étaient prêtes à concrétiser une fois sous la Coupole», résume Silvia Locatelli, membre du groupement cantonal pour la grève féministe. Le résultat? Des rencontres publiques avec des élus invités pour discuter des thématiques qui seraient traitées deux semaines plus tard par les députés. Durant le confinement, l’organisation s’est adaptée en interpellant par avance les invités et invitées, notamment à propos des effets de la pandémie sur les femmes, et en publiant leurs réponses sur Facebook. «On ne lâche rien», insiste Silvia Locatelli.

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L’énergie est semblable au sein du collectif Femmes Valais, qui a rapidement organisé et de manière régulière, des «stamms» (tables rondes) féministes à Sion et Martigny où tout un-e chacun-e est invité-e à se rendre pour discuter d’un sujet particulier ou parfois, simplement, pour échanger des lectures. Du côté de Fribourg, enfin, ce sont moins des débats qu’un «espace de parole informel» qui s’est constitué. Les «rendez-vous du 14» ont lieu une fois par mois à la Coutellerie, bistrot et lieu d’échange culturel historique. «L’idée était d’offrir cet espace aux femmes* – pas seulement aux membres du collectif – dans une ambiance bienveillante et détendue où l’on évoque autant des thèmes comme le harcèlement de rue que les nouveaux podcasts féministes», décrit Camille Habets, à l’origine du projet.

Informer, éduquer

S’il est bien une chose indispensable pour atteindre l’égalité des droits et abolir les injustices dont les femmes font les frais, c’est l’éducation. L’Association interjurassienne pour la grève y a pensé: «Un groupe de travail a mis en place un module de formation sur l’égalité dans une école primaire. Le virus a interrompu cela mais nous recommencerons dès que possible: le but, à long terme, est de proposer ce cours dans tous les établissements scolaires jurassiens», explique Leïla Hanini, responsable de la communication pour l’organisation. A Genève, ce sont des collégiennes de 16 à 19 ans qui se sont saisies du volet éducatif. Pour sensibiliser leurs camarades au sexisme mais aussi dénoncer certains comportements et soutenir les victimes, le groupe Les Meufs (mouvement étudiant pour l’unité féministe) s’est formé peu avant le 14 juin 2019 et agit dans différents collèges du canton.

Voir également : 14 juin, les femmes prennent la rue

Non loin de là, la ville de Nyon a désormais son groupe de «Femmes sages»: «Ce sont des femmes un peu plus âgées que les autres qui se réunissent pour discuter du système des retraites, afin de simplifier cette problématique et de l’expliquer autour d’elles», détaille Chantal Neuhaus, membre du collectif nyonnais pour la grève.

La jeune femme fait également partie d’un autre groupement attenant, le collectif Amani, qui veut faire entendre les voix afro-féministes. Ses membres se disent toutefois «très chamboulées par ce qu’il se passe aux Etats-Unis et par les violences contre la population noire en général. Nous faisons déjà face au racisme dans notre quotidien et dans certains milieux militants, cela ne nous aide pas à avancer.» Elles réfléchissent en ce moment à la suite de leurs actions.

Réseaux et créativité

Ce modeste bout de page ne saurait être exhaustif, mais notons encore que les divers groupements font preuve de créativité sur les réseaux sociaux, comme à l’extérieur: le collectif Femmes Valais publie régulièrement sur Instagram et Facebook des témoignages de victimes de sexisme ou de harcèlement assortis du hashtag #Denoncelesexisme, ainsi que des portraits de «femmes extraordinaires» chaque lundi.

Dans un même élan positif, Vanessa Cojocaru, du collectif fribourgeois, a lancé le projet Tea Room en collaboration avec l’espace culturel du Nouveau Monde: un événement public qui donne la parole à des Suissesses au parcours inspirant, suivi d’une performance artistique et enregistré pour composer un podcast. A Genève, enfin, les chanteuses de la chorale Nana’n’Air portent les revendications du 14 juin à travers l’union de leurs voix. Gageons que l’hymne du MLF [Mouvement de libération des femmes] résonnera encore dans les rues cette année: «Reconnaissons-nous, les femmes, parlons-nous, regardons-nous. Ensemble on nous opprime, les femmes. Ensemble révoltons-nous!»

L'astérisque accolé à la grève des femmes* vise à rappeler que l'identité de «femme» est multiple et inclut les personnes transgenres et non-binaires.