Les Suisses considèrent que les mères ne sont pas des femmes comme les autres: c’est en quelque sorte ce que montre l’étude intitulée «Les attitudes envers l’égalité des genres en Suisse, 2000-2017», parue dans la revue Social Change in Switzerland cette semaine.

Les chercheurs se sont penchés sur des dizaines de milliers de réponses issues d'une enquête annuelle – le Panel suisse de ménages – qui interroge un certain nombre de foyers en les suivant dans le temps. Pour leur analyse, les chercheurs n’ont pris en compte que les réponses des adultes. Quatre indicateurs permettaient d’évaluer les dispositions envers l’égalité des genres: les attitudes envers le travail rémunéré des femmes et des mères, celles à l’égard de la discrimination envers les femmes et celles envers les mesures de promotion des femmes. Des indicateurs sur lesquels chacun devait se positionner de 0 à 10 (d’une vision très traditionnelle à une vision très égalitaire). Christina Bornatici, chercheuse pour FORS – Centre de compétences suisse en sciences sociales – et coautrice de l’étude, revient sur ses conclusions.

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«Le Temps»: Votre analyse montre que le rôle des femmes est considéré différemment si elles sont mères ou si elles ne le sont pas. Comment cela se manifeste-t-il?

Christina Bornatici: Nos résultats indiquent que le modèle familial traditionnel avec la mère au foyer est encore très ancré dans les mentalités: la participation des femmes au marché du travail est désormais plébiscitée, mais uniquement tant qu’elles n’ont pas d’enfant. Les répondants sont encore nombreux à penser qu’un enfant en âge préscolaire souffre si sa mère travaille. La légitimité du travail des femmes semble plutôt acquise, avec une moyenne globale de 8,3 pour les femmes et de 8,0 pour les hommes (sur une échelle de 0 à 10), un score élevé indiquant des attitudes plus égalitaires, donc ici plus favorables à la participation des femmes et des mères au monde du travail. Mais la légitimité du travail des mères est loin d’être évidente: avec une moyenne de 4,8 pour les femmes et de 3,8 pour les hommes. Cela signifie qu’au moment où la femme devient mère, c’est ce rôle qui devrait prendre le dessus pour une grande partie de la population.

En matière d’égalité, vous vous attendiez à ce que les générations plus jeunes aient des attitudes moins traditionnelles que les générations plus âgées. Or, c’est exactement l’inverse. Pourquoi?

Il est en effet surprenant de constater que les milléniaux sont moins enclins que les autres générations à considérer que les femmes sont encore discriminées dans certains domaines et que davantage de mesures favorisant l’égalité sont nécessaires. Une explication possible serait que les jeunes pensent que l’égalité est déjà réalisée. Une autre hypothèse pourrait être qu’ils manquent encore d’expérience. Par exemple, celles et ceux qui n’évoluent pas encore sur le marché du travail ont moins eu l’occasion de constater les discriminations liées au genre. Les jeunes considèrent-ils que les inégalités restantes sont légitimes? Nous aurons besoin des enquêtes suivantes pour le déterminer, mais il faut noter que notre analyse s’arrête à 2017, avant #MeToo, la grève féministe ou encore le congé paternité. Peut-être que cela influencera les attitudes.

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L'une des conclusions de votre étude est aussi que les mentalités évoluent par rapport aux rôles des femmes, mais que c'est moins le cas des attitudes concrètes. Ce constat n’est-il pas problématique?

Le soutien aux mesures de promotion de l’égalité et la perception des discriminations envers les femmes sont en effet restés stables, à des niveaux moyens. Et une fois devenues mères, les femmes sont toujours attendues dans la sphère privée. Ce constat nous montre qu’une progression vers des attitudes plus égalitaires ne va pas de soi et qu’il faut agir de façon concrète. Mais ce sont notamment les stéréotypes qui font que les femmes sont encore sous-représentées à des postes clés. Changer les mentalités est donc une condition pour l’égalité réelle.


C. Bornatici, J.-A. Gauthier & J. -M. Le Goff (2021). «Les attitudes envers l’égalité des genres en Suisse, 2000-2017». Social Change in Switzerland, N° 25. DOI: 10.22019/SC-2021-00001