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Pascal Luthi: «La Police ne se féminise pas assez vite»

Le commandant de la police cantonale neuchâteloise répond aux questions du «Temps» quant aux pistes possibles pour prévenir le harcèlement sexuel au sein d'un corps de police

Pascal Luthi est commandant de la police neuchâteloise depuis 2012. — © Guillaume Perret | Lundi13
Pascal Luthi est commandant de la police neuchâteloise depuis 2012. — © Guillaume Perret | Lundi13

A la tête d’une police cantonale à taille humaine (400 policiers et assistants de sécurité publique) qui possède sa propre structure de formation, le commandant neuchâtelois Pascal Luthi évoque pour Le Temps les pistes possibles pour prévenir les abus et encourager les policières à les signaler.

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Le Temps: Vous êtes commandant de la police cantonale neuchâteloise depuis 2012. Avez-vous déjà eu à traiter des cas de harcèlement sexuel?

Pascal Luthi: Depuis que je suis commandant et même avant, en tant qu’adjoint, je n’ai pas connu d’affaires avec une dimension pénale. Par contre, j’ai parfois dû remettre à l’ordre ou donner des avertissements, mais j’ai surtout en tête des reproches formels dans des contextes de couples de policiers qui rompent. Je suis conscient que je ne suis pas au courant de tout ce qui se passe au sein de ma police.

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La formation à Neuchâtel sensibilise-t-elle ses aspirants au sexisme?

Oui. Un chapitre notamment explique que le droit et la chaîne pénale doivent exercer une discrimination positive sur certaines populations vulnérables, et les femmes en font partie, à travers deux angles: la traite des femmes et les violences domestiques. Les policiers ne peuvent pas ignorer cela. Mais je n’ai rien inventé, ce sont des documents doctrinaux de l’Institut suisse de police, que les écoles peuvent choisir de traiter plus ou moins longuement.

Il faut mentionner aussi que, depuis une vingtaine d’années, nous mettons une importance particulière sur le développement des compétences sociales (dialogue, plusieurs modules consacrés au feedback). Elles sont certes orientées sur l’opérationnel, mais je pense que cela participe d’un bon climat.

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Comme dans d’autres polices, il est arrivé chez vous que les aspirantes soient contactées par leurs futurs collègues via les réseaux sociaux avant même leurs débuts. Cela peut être oppressant. Qu’en pensez-vous?

Je pense que certains collègues ont cette attitude, mais je me refuse à dire que c’est l’institution. Reste que ça n’a pas lieu d’être, il faut s’en inquiéter. Mais ce comportement est une chose qui, j’espère, évoluera aussi avec les générations. L’autre chose, c’est de savoir si cela s’arrête quand les signaux sont donnés, est-ce qu’ils remontent à la hiérarchie ou les ressources humaines, est-ce que les mesures sont efficaces.

Quel est votre ressenti concernant ce que vivent vos collaboratrices?

J’ai rencontré un certain nombre de collègues pour des discussions entre elles. J’ai posé les sujets sur la table, leur ai demandé de parler librement et ces conversations étaient extrêmement riches. Globalement, elles relèvent que la pression sexiste sur le terrain, par les citoyens, les prévenus, était très importante. Donc les blagues ou comportements «lourds» à l’interne ne sont pas vécus comme terribles à côté. Mais c’est un double message qui ne me rassure pas, car cela veut dire que c’est tout de même présent.

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Allez-vous mettre des choses en place?

Je ne vais pas lâcher ce secteur «blagues salaces», j’y réfléchis, car chaque chef devrait s’en soucier. Un cadre a fait beaucoup de travail pour éradiquer les plaisanteries racistes dans la cafétéria, en ne laissant rien passer. Il faudrait s’en inspirer. Ensuite, j’aimerais faire en sorte qu’un dialogue transparent puisse avoir lieu entre les policières de toutes les générations sur ces questions.

Plus largement, une idée est d’aborder ce sujet très tôt dans la formation, d’ouvrir tout de suite un débat, tenir un discours clair, sans qu’il soit paternaliste car ce sont des adultes. Mais expliquer quelques éléments que je considère comme non acceptables et définir comment elles peuvent mettre des limites claires entre vie privée et vie professionnelle. Il faut des messages forts mais ciblés.

Une partie de la solution n’est-elle pas de former plus de femmes?

C’est certain. Le métier ne se féminise pas assez vite, nous sommes passés de 0 à 15% en vingt-cinq ans. Il doit se féminiser plus rapidement, notamment chez les cadres. Nous-mêmes n’avons pas de femme instructrice, cela doit changer. Et je pense que nous assisterons alors à une évolution positive.