Tout a commencé par des autocollants sur la porte de son bureau et des prises à partie sur Twitter. Puis, des affiches demandant sa démission ont été collées à travers le campus. En octobre, des manifestants sont venus dans l’université pour bruyamment réclamer son départ. La seconde fois, ils étaient une centaine, le visage masqué.

Dormant mal, sous pression, Kathleen Stock a finalement décidé de démissionner. Le 28 octobre, la professeure de philosophie de l’Université du Sussex a quitté son poste, après trois années de controverse grandissante. Sa faute? Avoir dit, et répété, que le sexe biologique compte et qu’il ne suffit pas à une personne trans de simplement «s’auto-identifier» comme étant une femme pour effectivement le devenir. «Vous pouvez vous couper le pénis et prendre des hormones, vous ne devenez pas une femme.»

Un peu plus d’un mois après cette démission fracassante, tout juste remise de la tempête médiatique et universitaire qui l’a emportée au moment de sa démission, Kathleen Stock n’a absolument pas changé d’opinion. «Je ne regrette pas. D’une certaine manière, mes opposants m’ont donné une plateforme pour me faire entendre.»

Kathleen Stock serait-elle dépassée et conservatrice, une professeure qui n’aurait rien compris à la fluidité du genre? Lesbienne, mère de deux adolescents, féministe, elle rétorque au contraire que sa position consiste à défendre les femmes. «Avec l’auto-identification du genre, un homme peut mettre une robe et décider d’aller dans un vestiaire pour femmes», estime-t-elle. Elle cite l’exemple de Karen White, un trans né homme, qui s’habille en femme mais n’a pas eu de changement de sexe, qui a été mis dans une prison pour femmes. Il y a agressé sexuellement deux prisonnières. «Il faut maintenir des protections pour les femmes», insiste-t-elle.

Quelle réaction, au-delà du fond du débat?

Cette position est très critiquée. Kathleen Stock est accusée d’être une «TERF» – Trans-Exclusionary Radical Feminist (féministe radicale excluant les trans). «Définir le rôle social d’une personne et son accès aux lieux publics en fonction de ses organes sexuels est-il féministe?» avait notamment rétorqué en octobre sur les réseaux sociaux un groupe d’étudiants de l’Université du Sussex. Pour eux, la professeure «excluait et mettait en danger les transsexuels».

Au-delà du fond du débat, le cas de la professeure d’université illustre aussi la question de la liberté d’expression. Son point de vue, quoi qu’on en pense, méritait-il vraiment d’exiger sa démission, pour qu’elle ne puisse plus s’exprimer? En août, le militant homosexuel Peter Tatchell, qui s’oppose pourtant à l’opinion de Kathleen Stock, avait initialement accepté de débattre avec elle pour un podcast. Après avoir été très vivement critiqué, il a préféré se retirer.

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Le cas J. K. Rowling

Le débat, venu des campus américains, est arrivé sur les côtes britanniques il y a quelques années, gagnant en virulence depuis un an. Il a notamment rejailli sur J. K. Rowling. L’autrice de Harry Potter s’exprime régulièrement en faveur d’une définition des femmes basée sur le sexe biologique. Récemment, elle a ironisé sur le titre d’un article qui employait l’expression «personnes qui ont leurs règles», utilisée afin d’inclure notamment les hommes trans. «Je suis sûr qu’il y avait un mot pour ça autrefois? Aidez-moi…», a-t-elle lancé.

Elle reçoit aujourd’hui régulièrement des lettres de menace, «assez pour en tapisser ma maison». Sur Twitter, des militants ont dévoilé son adresse personnelle. Surtout, elle est de plus en plus souvent exclue de débats ou de conférences. Le 1er janvier, la chaîne américaine de streaming HBO Max fêtera les 20 ans du premier film de Harry Potter. Les anciens acteurs et réalisateurs sont tous invités. Tous, sauf J. K. Rowling, devenue infréquentable.

Selina Todd, professeure à Oxford et spécialiste de l’histoire des femmes et des classes populaires, a également été la cible de menaces sur les réseaux sociaux, après avoir défendu publiquement Kathleen Stock et pris des positions similaires. L’université a jugé le risque suffisamment crédible pour dépêcher des agents de sécurité à l’entrée de ses cours.

Le vent semble pourtant en train de tourner. Après avoir longtemps été silencieux, voire hostile à Kathleen Stock et les autres, le monde universitaire se fait entendre. En octobre, peu avant sa démission, 200 professeurs ont signé une lettre ouverte dénonçant la situation. «Il est clair que de nombreux dirigeants d’université n’ont pas le courage ou la capacité d’affronter le problème», écrivaient-ils. L’association Sex Matters a recensé au moins 80 cas de harcèlement ou de «no platform» (une invitation à parler qui est retirée), soulignent-ils. Pour contrer l’association historique Stonewall, jugée trop favorable à l’auto-identification, une autre association, LGB Alliance (laissant de côté le T de trans) a été créée.

Le gouvernement britannique est aussi monté au créneau, trop heureux de s’emparer d’un sujet qui divise la gauche. Le premier ministre, Boris Johnson, a envoyé une lettre de soutien à LGB Alliance, et s’il a fait attention à ne pas prononcer d’opinion tranchée sur le sujet, il moque régulièrement les attitudes dites «woke», mot valise signifiant à l’origine le fait d’être «éveillé» ou sensible à certaines injustices sociétales, avant d’être utilisé par certains pour dénoncer les dérives de ces combats dits de «justice sociale». La tempête autour du droit des personnes trans semble tout, sauf sur le point de se calmer.

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